Igor et Olafe : Chasse, pêche et surgelé, Le Jour de la Saint Boudin

Igor et Olafe : Chasse, pêche et surgelé,  Le Jour de la Saint Boudin
Pierrick Bisinski, avec la collaboration d’Edouard Manceau

Gallimard jeunesse (giboulées), 2011

Aux petits bonheurs des ogres

par Anne-Marie Mercier

Dans le domaine des séries pour la jeunesse présentant les aventures de deux enfants, frère et soeur, on avait plutôt l’habitude de trouver des récits très conventionnels. Ici, le ton est décalé et les situations cocasses. Il faut dire que les héros sont de petits ogres et qu’il est toujours question de manger. Que l’on cherche des pommes – les deux enfants vont les chercher chez leur grand-mère qui vit dans la forêt–, ou du poisson – Igor va à la pêche avec son père –, l’aventure se termine régulièrement en petite catastrophe comique.

 Les références aux contes ou à des classiques de littérature de jeunesse sont détournées dans le même esprit (on sème sur le chemin des patates au lieu de miettes de pain). Les papiers découpés construisent un univers simple sur lequel les petits personnages gesticulent de façon expressive.

 

 

 

Je cherche un livre pour un enfant. Le guide des livres pour les 8/16 ans

Je cherche un livre pour un enfant. Le guide des livres pour les 8/16 ans
Toni di Mascio
Gallimard jeunesse, 2011

Qui cherche trouve

par Anne-Marie Mercier

Je cherche un livre pour un enfant 8_16 ans .gifDans la même collection que le livre précédent consacré à la tranche des zéro-sept ans, cet ouvrage propose de nombreux titres pour les pré-adolescents et adolescents accompagnés de synthèse sur différents sujets (les séries, la science-fiction, les enfants et la lecture). Un premier chapitre donne des idées de lecture en fonction du niveau du lecteur et non de son âge (il y a une bonne mise au point sur cette question de l’âge, p. 13). Un deuxième chapitre est organisé par genres : fantasy, policier, fantastique et science-fiction. Le suivant donne des titres d’ouvrages classés par thèmes : récit de vie, aventure, humour, amour, histoire, monde contemporain. Une dernière partie propose des repères : historique, lieux de lecture, éditeurs, sites… Et une bibliographie qui propose d’autres recueils du même genre mais aussi des titres d’ouvrages sur les moyens d’inciter les enfants à lire.

 Le grand mérite de cet ouvrage, comme le précédent est de s’appuyer sur le goût des enfants et adolescents, de mêler classique et contemporain, « grands » et « petits » éditeurs et de proposer de nombreuses ouvertures, regards critiques, réflexions et conseils ; par exemple celui-ci : « les adultes que nous sommes devraient éviter de juger une lecture d’enfant (trop) à l’aune de leur regard de lecteur qui a déjà un parcours littéraire (et de vie) derrière lui », accompagné d’un conseil judicieux : relire un ouvrage qui nous a beaucoup plu, enfant ou adolescent, et se demander si on en a été décervelé, ou bien?

 

Sade Up

Sade Up
Franck Secka, Philippe Huger (ingénierie papier)

Rouergue, 2011

La pensée Pop Up

par Anne-Marie Mercier

sadeUp.gifDisons-le d’emblée, même si la précaution peut sembler inutile vu le titre : cet album n’est pas pour les enfants, ni pour les âmes sensibles.  Pourtant c’est un Pop up, et il en déploie toutes les ressources : constructions qui se déploient en relief, rabats permettant de multiples permutations, tirettes dévoilant ou découpant des objets et des corps, roues faisant défiler les possibles…

Il ne s’agit pas d’illustrer une œuvre particulière de Sade mais de proposer dans chaque double page une petite scène de théâtre à sa manière. On y trouve de nombreux pastiches : une fausse Chapelle Sixtine, des tableaux revisités, des montages de peintures, gravures, photographies colorisés… L’objet est superbe et dérangeant.

Quant au propos, il a le mérite de faire réfléchir à ce que crée un pop up. Ainsi, ce qui, dans le domaine de l’enfance, sert le jeu, la curiosité et l’exploration de la limite des possibles peut être détourné (mais est-ce un détournement ?) vers d’autres domaines. Que ceci soit appliqué à une œuvre qui semble à beaucoup totalement étrangère au monde de l’enfance ne peut que faire réfléchir au désir de voir, commun à l’enfant et au personnage sadien. Dévoiler ce qui se passe dans la chambre des parents, ou sous les vêtements du grand duc, mettre en pièce des petits poissons… tout cela dira quelque chose aux spécialistes de l’enfance ; pour les rares spécialistes de Sade qui fréquenteraient ce site, ils méditeront également les propos de la préface de Michel Surya : il s’agit de « mettre la pensée elle-même en représentation, une représentation à laquelle c’est la machine qui commande ou à laquelle on commande par la machine » belle définition du pop up.

 

Qui es-tu Alaska?

Qui es-tu Alaska?
John Green
traduit de l’anglais (américain) par Catherine Gibert
Gallimard (pôle fiction/filles), 2011

Vie et mort en pension

par Anne-Marie Mercier

John Green,Gallimard (pôle fiction),pension, suicide, adolescent,amitiéAvec ce roman déjà paru en collection scripto en 2005, on entre dans un univers de « collège » américain, et plus précisément de pensionnat. Bien loin de Harry Potter ou de Twilight, on est dans la réalité la plus crue, sexe quasi excepté, même si le désir du héros adolescent pour sa camarade Alaska est très présent et analysé avec précision ; le roman hésite entre crudité et pudibonderie. L’auteur a été aumônier étudiant auprès d’enfants, et on sent tout au long du livre une grande proximité avec ses personnages et beaucoup d’empathie, mais une volonté de ne pas trop choquer et sans doute d’édifier.

Le narrateur, Miles, qui sera vite surnommé « le gros » pour sa maigreur, est un garçon normal quoique un peu solitaire et habité par une passion curieuse, celle des derniers mots proférés par les hommes célèbres au moment de leur mort. Il devient l’ami de garçons et de filles un peu déjantés, très portés sur l’alcool et les cigarettes (mais pas de drogue) et les conduites à risque.

Le quotidien du pensionnat est très bien rendu : cantine, cours, angoisses des examens (les élèves se préparent à l’examen de fin d’études secondaires et misent beaucoup sur celui-ci qui doit leur permettre d’entrer ou non dans l’université de leur choix). Les clans s’affrontent parfois à travers des farces brutales, séparés souvent par des considérations de classe sociale.

Les personnages sont très attachants, chacun dans son genre et l’histoire, comique et cruelle dans ses débuts, devient vite bouleversante, à mesure que le mystère du caractère suicidaire d’Alaska s’épaissit et que le personnage du « Colonel », le camarade de chambre de Miles se complexifie.

En résumé, c’est un beau livre, touchant et intéressant, où les questions existentielles (à travers le cours de « religion ») ne sont pas absentes : à conseiller, à moins qu’on ne suive un avis plus réservé dans un bon article du site altersexualité. De nombreux blogs ados le classent comme un coup de coeur… mais il est vrai que ce sont des blogs de filles et que Gallimard l’a classé dans la série « filles », alors que le narrateur est un garçon.

LBD, t. 2, En route les filles !

LBD, t. 2, En route les filles !
Grace Dent
Gallimard (pôle fiction/filles), 2011

Le Bouquin Débile ?

par Anne-Marie Mercier

LBD.gif Le deuxième volume de la série, publié aujourd’hui en poche, est à la hauteur de l’ensemble. Les « Bambinas dangereuses » ne se préoccupent que d’elles-mêmes, de fringues et de désirs de célébrité et se donnent une mission : faire tourner en bourrique leurs amoureux et séduire les autres. Ici, on les voit se rendre à un concert et immédiatement se poser la question cruciale : qu’est ce que je vais me mettre ?

Ilse est partie

Ilse est partie
Christine Nöstlinger
Traduit de l’allemand (Autriche) par Bernard Friot
Mijade (zone J), 2010

Fugue de mineure, œuvre majeure

par Anne-Marie Mercier

Christine Nöstlinger,Anne-Marie Mercier, fugue,ado, révolte,Mijade (zone J),soeurLes éditions Mijade ont fait un très beau choix en publiant une version française du célèbre roman de l’auteur autrichienne Christine Nöstlinger, prix Andersen (1984) et première lauréate du prix Astrid Lindgren (2003, avec Maurice Sendak). Jusqu’ici, de nombreux autres titres avaient été traduits, mais pas Die Ilse Ist Weg (1991), nouvelle édition sous le titre du film (1976) qui a été tiré de Ilse Janda,14(1974). C’est un classique de la littérature internationale souvent cité dans les ouvrages sur la littérature pour adolescents.

Christine Nöstlinger,Anne-Marie Mercier, fugue,ado, révolte,Mijade (zone J),soeurC’est un très beau livre, très pudique, sur un sujet difficile. Ilse, 14 ans, est partie, c’est sa jeune sœur Erika qui raconte.  Complice, elle donne le contexte de la fugue, avec ce qu’elle croit savoir, ses raisons apparentes, comme le divorce des parents, l’éducation trop sévère et trop distante donnée par la mère, les préjugés sociaux… Mais le lecteur comprend progressivement, et un peu plus vite que la narratrice, qu’Ilse a menti à sa sœur et qu’il y a d’autres causes plus profondes, liées à sa personnalité. Il devine aussi rapidement où Ilse s’en est allée, avec qui, et le danger qu’elle court. Au contraire, Erika devra faire toute une enquête, lentement, d’indice en interrogatoire, de preuve en hypothèses, à la façon d’un détective, avant de trouver des réponses à ses questions. Chacune des sœurs fait du chemin, et celui d’Erika la mène vers une maturité qui semble inaccessible à l’aînée.

La description de la famille et de ses habitudes, les certitudes de la mère en matière d’éducation, le regard plus lucide et aimant du beau-père et surtout de la grand-mère paternelle, le portrait de l’autre grand-mère, tout cela fait une série de personnages qui sonnent vrai. Les rencontres d’Erika qui parcourt la ville à la recherche de sa soeur sont variées et ses nouveaux amis attachants.

La fin est ouverte et loin d’être heureuse : Ilse est rentrée, mais le problème demeure ; le texte s’achève sur ces mots :

« J ‘ai peur, pas seulement pour Ilse. J’ai peur pour nous tous. Pour nous tous. »

Tout en étant d’une écriture simple et d’une lecture facile, ce roman explore la complexité, l’éclaire sans la résoudre.

L’Erreur de Pascal

L’Erreur de Pascal
Florence Seyvos

Illustré par Michel Gay
L’école des loisirs (mouche), 2011

Doisnel enfant

Par Anne-Marie Mercier

L’Erreur de Pascal.gif« Ma mère est morte ». L’excuse inventée par Antoine Doisnel dans Les Quatre cent coups est utilisée par un jeune garçon qui cherche à échapper à tout ce qui le contraint. Mais Pascal ne s’arrête pas à ce premier mensonge et s’empêtre dans de nombreux autres, finissant par ne plus savoir comment échapper à l’embrouillamini qu’il a créé, sinon par la fuite, l’envie de disparaître.

On peut craindre le pire, mais Florence Seyvos esquive et ce récit s’achève tout tranquillement sur une leçon claire : il suffit de dire la vérité, toute la vérité (du moins sur le plan des faits) pour que tout s’arrange… C’est une belle exploration d’un point de vue d’enfant buté qui s’évade loin des problèmes en inventant ou en regardant ailleurs. Et c’est fort bien écrit, avec des gros plans sur des moments, des mets, des odeurs.

Je ne suis pas Eugénie Grandet: l’art, la vie

Je ne suis pas Eugénie Grandet
Shaïne Cassim
L’école des loisirs (médium), 2011

Les livres et l’art comme leçons de vie

Par Anne-Marie Mercier

Je ne suis pas Eugénie Grandet .gif   Dans ce beau roman, une jeune fille découvre son propre trouble en visitant une exposition (« Eugénie Grandet » vue par Louise Bourgeois) et en parcourant le roman de Balzac. Dans une deuxième partie, c’est La Cerisaie de Tchekhov qui est au centre de l’intrigue et des préoccupations… Autant dire que ce roman ravira les « médiateurs culturels » et les amoureux de la culture et qu’il ne fait pas rimer réalisme avec misérabilisme. Certains pourraient lui reprocher d’être un peu « élitiste-parisien », de montrer des vies et un cadre peu communs pour l’ensemble de la population. Oui, et alors? ça change au moins du monde des vedettes,champions, malfrats et stars qu’on propose sans état d’âme.

La situation, les personnages, sont ce qu’ils sont, ce sont des vies comme il y en a d’autres, affrontées à des difficultés et qui se nourrissent de rencontres. Il n’y a rien de cuistre ni de trop didactique. C’est un roman, avec des personnages attachants, tous un peu bizarres, ce qui leur donne un ton de vérité : un metteur en scène, une costumière, un fleuriste, une grand-mère médecin de campagne à la retraite…, tous ces personnages se croisent sous le regard un peu perdu de l’héroïne.

À travers le personnage d’Eugénie Grandet, elle découvre sa grand-mère et comprend le mystère de sa vie, le pourquoi de sa dureté et de son apparente insensibilité et un peu de l’histoire de sa propre mère qui l’a abandonnée ; mais surtout elle comprend à travers l’angoisse qui la prend lors de la visite de l’exposition sa propre angoisse face à son passé comme face à son futur : comment ne pas rater sa vie ? comment naît un amour ?

L’ensemble fait une belle lecture des livres, des arts et des émotions et, ce qui n’est pas négligeable, donne envie de relire ou lire Eugénie Grandet et La Cerisaie

K-cendres

K-cendres
Antoine Dole
Sarbacane (exprim’), 2011

Fous de musique

par Anne-Marie Mercier

k-cendres.gif   K-cendres est le nom de scène d’Alexandra, rappeuse, mais aussi devineresse à la manière de Cassandre : celle qui prédit des malheurs et ne peut les empêcher. C’est pourtant un roman absolument réaliste dans son cadre et dans ses principaux enjeux. Il décrypte les milieux et stratégies du show-biz, non seulement à travers l’héroïne mais aussi de nombreux personnages : patron de label, attachée de presse, garde du corps, médecin… chacun est caractéristique, aucun n’est caricatural, tous sont humains, trop humains. Au contraire, Alexandra et Marcus, son garde du corps, sont porteurs chacun à sa manière d’une certaine pureté.

Alexandra est à l’image de certains jeunes talents exploités par des firmes, assommés de drogues et terriblement seuls (on évoque dans le livre le modèle d’Amy Winehouse, morte en juillet dernier, à l’âge de 27 ans). Prise entre la folie qui lui a fait passer sa jeunesse enfermée à l’hôpital et la transe qui lui fait trouver des rythmes et des mots, parfois des visions, elle ne vit sa vie que dans la musique.

L’écriture d’Antoine Dole accompagne ce passage en enfer, dit l’excès et le désespoir mais aussi l’amour de la musique et l’énergie de la scène. Il prend parfois un rythme fort, se fait musique. On pourrait parler dans certaines pages de « roman-rap ». C’est un roman poignant, prenant, rythmique, magnifique.

Abel et la bête

Abel et la bête
Yann Coridian
L’école des loisirs (neuf), 2011

Dépression paternelle, errance filiale

par Anne-Marie Mercier

  La bête, c’est la dépression dans laquelle plonge brutalement le père d’Abel. Le roman, c’est l’histoire d’Abel face à la bête et à ce naufrage. On le suit jour après jour, avec son père, puis avec sa grand-mère lorsque celui-ci est l’hôpital, puis seul, errant dans Paris, et enfin avec un couple de psy chez qui il débarque pour demander du secours.

Les événements sont vus d’un point de vue d’enfant qui serait simplificateur : la maladie est une bête qui s’est installée pour un temps dans le corps du père. La vie est faite de petits riens, de repas, d’un exposé à faire, de rencontres avec les voisins, avec des copains. Le ton ne verse pas dans le pathos. Abel raconte ; il s’attache à des petites choses pour vaincre sa peur. Tout est dit simplement, et c’est déjà bien. Dommage que le titre fasse un peu trop polar.