Nuage

 

Nuage
Alice Brière-Haquet, Monica Barrengo (ill.)
Passe Partout

Nuage et Spleen…

Par Christine Moulin

Curieusement, depuis quelque temps, le nuage a le vent en poupe en littérature de jeunesse: c’est le cas dans le dernier album d’Anthony Browne, Marcel et le nuageet dans La Bulle de Thimothée de Fombelle. C’est aussi le cas dans l’album d’Alice Brière-Haquet. Dans les trois ouvrages, même si aucun n’appelle une lecture univoque, le nuage (ou l’ombre menaçante) peut être assimilé à une représentation symbolique des émotions négatives et intrusives, ou même de la dépression, thème relativement peu traité mais  susceptible, surtout si l’auteur adopte la stratégie du détour, d’aider des enfants qui seraient confrontés à cette maladie dans leur entourage ou qui auraient à l’affronter eux-mêmes. Il y faut de la délicatesse…

Nuage n’en manque pas. Le texte, peu bavard, analyse, sans pathos, l’impression de pesanteur, de découragement absolu attaché à cet état: « un nuage dans la tête nous cache le soleil », « son ombre se pose sur les plus jolies choses » (ces choses, en l’espèce, sont les chats et la musique). Il finit sur une note d’espoir tout en soulignant la fragilité qui perdure.

Les illustrations sépia sont à l’unisson. Elles construisent leur propre discours, en écho avec celui du texte : des horloges, des montres, décalées, suggèrent que le temps a perdu sa fluidité pour le personnage principal, une femme, apparemment seule, voire solitaire. Trois chats, par leurs attitudes, réagissent à la détresse de leur maîtresse: souvent paisibles et rassurants, ils laissent parfois sourdre leur inquiétude en se frottant contre les jambes de leur « humaine » ou en attendant, figés, devant la porte de la chambre, qui reste fermée. Ils saluent finalement la sérénité retrouvée.

On voit combien tout est mesuré, feutré, sans pour autant éluder l’essentiel.

Ma vie sans mes parents

Ma vie sans mes parents
Myriam Gallot
Syros, 2016 (Tempo)

Un roman sobre et brillant

Par Caroline Scandale

Afficher l'image d'origine Éléonore découvre un petit chat sur son balcon. Il appartient à son voisin de palier, un vieux monsieur très seul, prénommé Aimée. Dès lors se tisse un beau lien d’amitié, entre l’homme âgé et la jeune fille. Sa solitude rencontre celle d’Éléonore, dont les parents sont boulangers et travaillent énormément.

La vie suit son cours et la mort survient. Passée la tristesse, l’existence reprend du sens, surtout lorsque l’on est une jeune ado de 12 ans, bien entourée, épanouie et prête à croquer la vie.

Les valeurs de l’amitié, de la rencontre et des plaisirs simples sont mises en avant. L’héroïne et tous les protagonistes du roman ont des préoccupations saines et une vie normale, qui fait écho à celle des adolescents.

Le sujet est profond mais il est traité si délicatement que le roman n’est jamais triste longtemps. Il propose, au contraire, une vision optimiste de l’adolescence. De sa plume délicieusement littéraire, Myriam Gallot signe un récit ultra délicat sur l’importance du lien intergénérationnel et du lien entre l’homme et l’animal, deux thèmes qui lui tiennent à cœur.

 

Le pirate et l’acrobate

Le pirate et l’acrobate
Valie Le Gall et Alex Cousseau (Ill. Max de Radiguès)

Éditions du Rouergue, 2015

Doux comme une plume

par François Quet

couv-pirate-ok.inddC’est l’anniversaire de la maman de Noé. Il sait déjà ce qu’il lui offrira : une boite à trésor, comme dans les films de pirate. Et dans cette boite il cachera ce qu’il y a de plus doux : une plume. Seulement voilà… où trouver une plume ?

L’aventure de Noé, c’est cela : trouver une plume avant le retour de sa maman, quitter l’appartement où il passe seul sa journée pendant qu’elle travaille aux conserveries, échapper aux dangers ordinaires qui attendent un enfant rêveur dans la circulation des engins de chantier, croiser une photographe qui ne prend en photos que les détails : « ce que les autres ne voient pas », suivre un chat, pister un goéland…

Au fil de la matinée, la boite se remplit de trésors minuscules (un bout de filet vert, un caillou beau comme une pépite…) et l’enfant-pirate au foulard rouge se laisse guider par le chat acrobate qui semble savoir où se cachent les objets précieux qui combleront sa maman.

Une histoire toute en douceur (sous les cris perçants des goélands) dont on apprécie particulièrement qu’elle mette en scène un enfant ordinaire dont la mère n’est ni écrivain ni journaliste, qu’elle valorise une piraterie aussi commune dans la vraie vie qu’elle est absente dans les romans : celle qui consiste à faire des trésors avec des bouts de ficelle

Le Chat rouge

Le Chat rouge
Grégoire Solotareff
L’école des loisirs, 201

Chat rouge, chat blanc, nuit bleue

Par Anne-Marie Mercier

« Valentin Le Chat rougeétait un chat comme tous les autres chats. Mais c’était un chat rouge. Et tout le monde se moquait de lui ». Ce début reprend un thème cher à Solotareff, celui de la différence et de l’appartenance : qu’est-ce qu’être « comme tous les autres, mais… » ?

Ce début grave est vite estompé par les aventures de Valentin : la rencontre avec Blanche-Neige la chatte blanche, avec qui il affronte un loup qui a mal aux dents, une sorcière… Ces éléments du folklore ne sont là que pour pimenter les étapes du récit, récit un peu lâche qui se résout vite par un constat sur l’indépendance des chats et leur incapacité à s’enfermer dans un rôle : « chat qui s’en va tout seul », disait Kipling.

L’intérêt principal de l’album est dans les illustrations, toujours superbes, proches du style ordinaire de Solotareff, mais avec un usage de l’aquarelle plus doux. Enfin, le traitement de l’espace, très stylisé est symbolique de l’histoire : le réel avec un paysage de village et de route, fils électriques, voiture…, et un espace d’aventure dans la forêt où erre le loup et où se trouve la petite maison de la sorcière, caractérisée par de superbes paysages de neige et de nuit, noirs, blancs, bleus.

La route des vacances

La route des vacances
Eric Battut
Autrement, 2014

Chien (et chat) perdus sans collier

par Christine Moulin

9782746736139FSLa couverture et les premières pages sont trompeuses: les couleurs vives et le trait naïf nous transportent dans un dessin d’enfant dédié à la représentation du départ en vacances. Rien ne manque, ni la voiture d’un autre âge, ni les hirondelles en virgules dans le ciel, ni Chien et Chat, les héros de l’histoire. Pourtant, très vite, les choses dérapent: Chien et Chat ont mal au cœur, se disputent, trouvent le temps long (toute ressemblance avec des petits d’humains…). Dans l’illustration, toujours idyllique, se glissent toutefois, tel un mauvais présage, un renard et un lapin, l’un poursuivant l’autre. Arrêt pipi. Arrive alors l’impensable, ce que redoutent, sans toujours le formuler, bien des enfants: les parents, pardon, le patron et la patronne s’en vont, sans se retourner, et abandonnent Chat et Chien.

Ceux-ci, après un moment de flottement, s’organisent et découvrent que solidaires, ils peuvent profiter de leur liberté et découvrir le monde. Mais Battut n’étant pas adepte de l’eau tiède, il introduit la vengeance dans son histoire, dont le ton se fait grinçant. Si bien que le « happy end » semble plus ironique que rassurant: Chat et Chien abordent sur une île. Certes, leurs semblables y semblent heureux et ils les accueillent avec un large sourire. Mais la violence et l’abandon n’ont pas été réparés, juste écartés, oubliés. Cette île, d’ailleurs, « ne figure sur aucune carte ». Et si au fond, ce dénouement, faisant du titre une antiphrase, était bien plus terrible qu’il n’y paraît?

Comme souvent, Battut, sous un dehors lisse, insignifiant, amène ses lecteurs à douter de la fausse quiétude dans laquelle nous pourrions nous enfermer et lézarde le quotidien, sans imposer toutefois une interprétation que nous ne serions pas prêts à assumer. On peut, en effet, de manière bien plus optimiste, voir dans cet album une dénonciation des maîtres cruels qui laissent sans scrupules leurs animaux derrière eux pour les vacances et se réjouir qu’ils soient punis et que tout se termine bien (bien?).

Un exemple (parmi tant d’autres) d’une lecture positive de l’album.

Entre chat et chien

Entre chat et chien
Eric Battut

Autrement, 2014

La plus fervente histoire

Par Dominique Perrin

9782218931437FSC’est la rencontre forte entre un lettré matériellement installé et un vagabond attentif au monde, entre un poète qui ne sait plus sortir et un explorateur qui a tout à découvrir des lettres, un sérieux et une légèreté…entre un créateur de texte et un créateur d’images enfin, qui désirent et accomplissent ensemble un livre qui rencontrera notamment le public des renards passionnés de poésie  !
C’est donc la plus fondamentale histoire sans doute, celle qui donne le spectacle non tant du « choc des cultures » (ou des civilisations) mais de la découverte inconfortable d’autrui, avec ses tensions (« Il ne faut pas abîmer les livres. Va-t-en de chez moi ! ») et ses détentes (« C’est beau. »), et de ce que vaut cette découverte (le besoin et la capacité de créer). Tout cela, dans un petit album au format « livre », et avec la simplicité caractéristique d’Eric Battut…

Poisson chat

Poisson chat
Dedieu
Seuil jeunesse, 2013

?!

Par Christine Moulin

chat dedieuL’ouvrage frappe d’abord par la géniale simplicité des moyens employés: de larges aplats de couleurs franches qui attirent le lecteur vers ce qu’il faut remarquer, comprendre, ressentir. Si bien que cet album sans texte provoque aussitôt des réactions intérieures fortes, plus bruissantes que des mots.  Dès la première double page, tous les éléments de la tragédie sont en place: un chat, un guéridon et sur le guéridon, un bocal, et dans le bocal, une minuscule et fragile tache rouge, en forme de poisson… Il y a encore un étage et un fauteuil entre le guéridon et le chat mais dès les pages suivantes, voilà que le cadre se resserre et le chat, pourtant représenté sans yeux, sans moustaches, devient de plus en plus présent…: l’insouciance du poisson rouge qui saute joyeusement, dangereusement (stupidement?) fait mal, fait peur! Le chat ouvre un œil et ce qui devait arriver arrive… le poisson tombe par terre, hors du bocal, frétillant frénétiquement. L’histoire continue, tendue, haletante, alternant couleurs froides pour le poisson et chaudes pour le chat.

La chute, entre fin tragique et fin par trop mièvre, trouve une troisième voie pleine d’ironie et de distance. De quoi s’indigner, discuter… Voilà une histoire très féline en somme, qui se livre et se dérobe pour mieux séduire…

Quelle CHAtastrophe !

Quelle CHAtastrophe !
Maureen Dor & Charlotte Meert
Editions Clochette, 2013

Quand les mots miaulent

Par Chantal Magne-Ville

quellechatastropheLa collection Les Zygomots s’enrichit d’un nouvel album, qui indéniablement permet aux enfants de saisir immédiatement le sens de l’expression « avoir un chat dans la gorge »  grâce à la magnifique illustration de couverture, où un matou malicieux se prélasse sans vergogne dans la gorge irritée du pauvre Emile, qui n’en peut mais. D’ailleurs cette gorge ressemble plutôt à un boudoir douillet, de forme circulaire, d’un rouge profond, que l’enfant peine à contenir. Les pigments sont mis en valeur par un effet de glaçage qui contraste avec la matité du reste du livre, en un effet saisissant.

L’histoire est celle d’Emile, un petit garçon qui a soudain un chat dans la gorge ce qui l’empêche de prononcer correctement les « ch », faisant souvent de lui un incompris qui n’a d’autre alternative que de s’isoler dans sa cabane. Sa camarade Madeleine va s’ingénier à trouver toutes sortes de ruses tenant compte de la psychologie des chats pour obliger le matou à sortir, mais en vain. Emile interroge alors le chat sur le pourquoi de sa présence et apprend que c’est parce qu’il a toujours la bouche ouverte que l’animal a décidé de s’installer chez lui : en effet ce matou a peur du noir ! Emile  à son tour tentera de le déloger en se forçant à  boire, à sauter, et même à adopter un chien,  jusqu’à ce que Madeleine ait l’idée salvatrice. L’attention est focalisée sur le matou vu tantôt du dedans, tantôt du dehors, par un jeu de contre-champs qui impriment une dynamique particulièrement réussie. L’humour est omniprésent, malgré le caractère parfois un peu convenu des jeux sur les mots. Un CD propose une lecture convaincante de l’histoire ainsi qu’une chanson pleine d’entrain, de la même veine.

 

Milton en pension

Milton en pension
Haydé
La Joie de Lire, 2013

Ils ne partiront pas sans moi: voire!

Par Christine Moulin

milton-en-pensionLe revoilà et comme toujours, il nous fait rire, nous émeut, nous ravit. Il est égocentrique, agaçant à force de mauvaise foi, mais rien n’y fait. Le crayon d’Haydé sait tellement bien croquer les attitudes les plus vraies des chats que l’on craque (il faut voir la page où il investit la valise ou celle où son humaine essaye de le mettre dans le panier!). Cette fois, Milton est en pension pour les vacances et il n’apprécie pas, si bien qu’il se vengera, de félinesque façon…! Mais on ne peut lui en vouloir car il sait aussi nous attendrir, quand il se réfugie sur le pull de sa maîtresse et quand il réagit dès qu’il entend enfin sa voix! Si bien que quand il déclare: « je suis devenu un chat comme les autres« , on ne le croit pas. Il est unique, comme tous les chats…

Le plaisir de la collection « Milton » est partagé par l’auteure du blog « Les jardins d’Hélène »; et on peut voir Milton en dessin animé.

Pauvre Petit Chat

Pauvre Petit Chat
Michel Van Zeveren
Pastel, 2012

Ne pas regarder le doigt… 

par Christine Moulin

47853L’idée de départ est originale : un pauvre petit chat blanc est perdu. La lune s’en rend compte et, affublée d’un grand nez, se met à lui parler. Elle le rassure, le prévient des dangers qui le menacent, le houspille parfois: bref, une vraie mère…!

Sur fond noir, au sombre de la nuit, le récit « en randonnée » (qui ne nous mènera pas bien loin: on ne quitte pas le quartier du petit chat!)  permet ici de s’identifier au héros et d’affronter, pour se rendre compte qu’on peut y échapper, les dangers qui menacent les petits: le bruit qui fait peur, la porte qui claque et qui fait mal, mais aussi la honte, la peur de l’abandon… Qu’il sera doux pour les enfants de trembler pour de faux!

L’adulte, quant à lui, a le droit de voir dans cette histoire un reflet de la façon dont on traite les exclus dans notre société: les indifférents d’hier se glorifient d’être les « sauveurs » d’aujourd’hui. Un écho de la façon dont on peut lire le phénomène des « Restos du coeur »? Qui sait ?

La chute, comme toujours chez Michel Van Zeveren, laisse la porte ouverte à toutes sortes d’interprétations et de réflexions… La lune, par exemple, pourrait-elle être une figure de l’auteur qui fait mine de se désoler des malheurs de son personnage mais qui doit bien les lui faire subir pour qu’existe l’histoire, jusqu’au silence final, celui sur lequel se referme le livre…?