Nina perd le nord

Nina perd le nord
Céline Gourjault

Seuil jeunesse, 2025

Un voyage inattendu

Par Pauline Barge

Nina a quatorze ans et elle se demande souvent qui est l’adulte chez elle. Entre l’état préoccupant de sa maison et la vie désorganisée de Loïc, son père veuf, Nina a du mal à penser à elle-même et rêve d’être une adolescente insouciante. Tout va changer pour les Faubert lorsqu’un courrier arrive dans leur boîte aux lettres. Une lointaine parente, une certaine tante Suzanne, est décédée et leur lègue tout son héritage. Cependant, il y a une condition : ils doivent aller disperser ses cendres en Suède, et plus précisément dans les mines de Falun. Les Faubert s’embarquent donc dans un périple inattendu !

Ce roman arrive à traiter des sujets lourds, tels que le deuil, la famille ou la confiance en soi, avec légèreté. Il y a surtout beaucoup d’humour, ce qui rend le texte d’autant plus vivant et agréable à lire. Les sujets douloureux deviennent plus accessibles, mais le livre reste tout aussi touchant. On découvre de petits bouts de vies de cette tante Suzanne, à travers de très belles lettres lues en famille. Les histoires d’adolescence que l’on suit à travers Nina, comme ses amours, ses amitiés ou sa jalousie, sont aussi très bien abordées, sans prendre trop de place dans l’intrigue. Le cœur du roman reste avant tout la complexité des relations familiales, notamment celle de Nina et de Loïc, qui est pleine de non-dits et de difficultés. Elles sont évoquées avec réalisme et justesse, la parole se libérant petit à petit au fil du récit. L’évolution des personnages est aussi bien amenée : chacun sort grandi de ce voyage en Suède. Loïc prend conscience qu’il doit changer son mode de vie, tandis que Nina prend confiance en elle. Ce voyage permet au père et à la fille de se rapprocher et de se comprendre mutuellement sous un nouvel angle.
Céline Gourjault a une écriture fluide et toujours pleine d’humour. En revanche, le roman est assez court. On aurait aimé quelques pages de plus, pour découvrir le paysage de la Suède plus en profondeur, ou tout simplement pour passer davantage de temps avec les personnages. Cela n’entache en rien la chaleur du livre, ni sa douceur ! Un bien joli roman initiatique, à conseiller aux adolescents en quête d’eux-mêmes.

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La Cata

La Cata
Sylvie Misslin et Aurélie Guillerey

Amaterra, 2025

Catastrophe et résilience

Par Lidia Filippini

La narratrice, une petite fille, vit tranquillement avec sa mère dans leur petite maison au bord de la mer. Le papa est loin, peut-être en mer justement. La petite fille pense à lui, elle lui écrit des lettres.
Mais un jour, « une créature noiraude et costaude » sonne à la porte. C’est la Cata ! Au début, la mère tente de lui résister, mais c’est peine perdue. Peu à peu, la Cata prend ses aises. Dans son grand sac, elle fait disparaître tout ce qui faisait la joie à la maison, à commencer par le pinson perché sur l’épaule de la maman. Finis les coussins multicolores, les gâteaux au chocolat, le parfum des roses et le ronronnement du chat… la vie des personnages devient grise et sans saveur. Heureusement, alors que tout semble perdu, un petit bonhomme maigrichon et affamé sonne à son tour. C’est Espoir. Il va falloir prendre soin de lui pour le sauver.
C’est un album en tout point parfait qui aborde avec une grande délicatesse des thèmes difficiles. On ne sait pas exactement à quelle « cata » sont confrontées la mère et l’enfant. Le père a-t-il disparu en mer ? Est-il mort ? Chacun y mettra ce qu’il a envie d’y mettre – en fonction de son âge et de son vécu. Mais ce qui compte ici, c’est surtout de la manière de réagir face aux malheurs qu’on rencontre. La mère et l’enfant traversent les quatre étapes du deuil : le déni (« On va faire comme si elle n’existait pas [cette] cata. »), la colère (« Maman Pinson s’est fâchée. Elle a insulté la Cata. »), la dépression (« Nos cœurs étaient glacés, mais nos mains, nos jambes continuaient à bouger. ») et enfin l’acceptation, avec l’arrivée d’Espoir.
La dépression, surtout, est suggérée d’une manière subtile et poétique. Les cinq sens sont comme engourdis quand la Cata enferme dans son grand sac à la fois les couleurs, les goûts, les odeurs et les bruits familiers agréables. La vie continue, parce qu’il faut bien aller travailler, se rendre à l’école, manger… mais c’est une existence dépourvue de joie, comme mécanique. L’histoire s’est arrêtée, comme le laisse entendre le fait que la mère lise sans arrêt la même page de son livre.
Et puis, il y a Espoir. Il est maigre, il a besoin d’amour. Il est comme un petit garçon perdu. La mère ne peut pas résister, elle le prend dans ses bras, le cajole, le protège. Et il grandit, grandit… jusqu’à faire fuir la Cata.
L’histoire pourrait s’arrêter là mais les pages suivantes sont essentielles. La Cata est partie, certes, mais elle a laissé un sacré bazar. Tout est mélangé, plus rien n’est à sa place et il va falloir une bonne de dose de courage aux deux personnages pour reprendre le cours de leur existence. Elles y parviendront grâce à l’amour qu’elles se portent l’une à l’autre. Cependant, même si elles peuvent de nouveau sourire, la mère et l’enfant le savent, elles ne pourront jamais oublier ce qui s’est passé. La Cata, en partant, a emporté une part d’elles-mêmes qu’elles ne retrouveront plus jamais, comme le suggère la disparition du pinson qui nichait sur l’épaule de la mère : il n’en reste plus qu’une plume…
Les illustrations d’Aurélie Guillerey, fidèles à son style, sont pleines de couleurs et foisonnantes de détails. Elles apportent la touche de gaité nécessaire à ce récit somme toute assez sombre. Même quand la Cata règne sur la maison, avec son grand sac rempli, quelques détails amusants permettent de détendre l’atmosphère (comme ce chat dépressif, affalé sur une planche de skate). Les traits des personnages, aux nez pointus, sont simples, mais ils laissent transparaître leurs émotions et permettent aux jeunes lecteurs de suivre, visuellement, le processus de résilience.
En bref, cet album est un petit bijou à lire sans modération, à tout âge.

Un  jour, grand-père a volé

Un  jour, grand-père a volé
Patricia MacLachlan – Chris Sheban
D’eux 2025

Le pygargue et les enfants

Par Michel Driol

Ils sont trois enfants, l’ainé Aidan, la cadette narratrice Emma et le petit frère Milo, et un grand-père passionné d’oiseaux qui leur a transmis cette passion. Lorsque le grand père perd la vue, il reconnait encore leur chant, et les identifie grâce à la description qu’en fait Leah, son infirmière. Le jour de son décès, Milo le reconnait dans le pygargue qui vole autour de la maison, un oiseau que le grand-père admirait.

Voilà un album touchant qui aborde la question de la transmission et du deuil, à travers les yeux d’une fratrie. Transmission d’une passion au-delà des générations, entre un grand-père et ses petits-enfants, transmission de connaissances, comme celle de l’identification des oiseaux, dont les noms précis, exotiques, poétiques sont cités dans l’album. Transmission de savoir-faire, comme lorsqu’il s’agit de sauver une mésange. Transmission réussie débouchant sur un partage d’émotions lorsque Milo identifie et nomme le jaseur des cèdres.  L’une des originalités de l’album vient du point de vue adopté, et d’une certaine mise en retrait de la narratrice. En effet, celle-ci raconte et observe avec sobriété. Elle observe le grand-père, la dégradation de ses facultés. Elle observe son jeune frère, peu bavard, mais sans doute le plus proche du grand-père dans ses attitudes. Ce n’est pas pour rien que c’est lui qui qui assimile le rapace tournoyant dans le ciel au grand-père décédé. C’est enfin, bien sûr, la question de la mort qui est abordée, à deux reprises. Celle de Nana, dont on comprend implicitement qu’il s’agit de la grand-mère, que les enfants n’ont pas connue, et dont le grand père affirme qu’elle voulait être cheval dans une autre vie, abordant alors la question de la réincarnation. Celle du grand-père, ensuite, dont les enfants ne sont pas les témoins direxcts. On notera que dans cet album, qui célèbre les oiseaux et la vie, le mot « mort » n’est jamais écrit. En revanche, le texte attire, pas deux fois, l’attention du lecteur sur le mot incroyable, comme pour préparer le lecteur à l’envol final, lui aussi, « incroyable ».

Utilisant des techniques mixtes, aquarelle, pastels et crayons, les illustrations jouent sur les tons chauds de l’automne pour associer la représentation des humains et celle, majestueuse, des rapaces en vol.

Un album émouvant, dont l’écriture souple, simple, pour l’essentiel à l’imparfait, installe le lecteur dans la durée qui semble infinie d’une relation intergénérationnelle, dans la magie de la transmission, pour aborder avec beaucoup de sensibilité la question du deuil.

Ma Voisine la magicienne

Ma Voisine la magicienne
Rachel Chivers Khoo

Traduit (anglais) par Aurélien d’Almeida
Didier Jeunesse, 2024

Un foyer tombé du ciel

Par Pauline Barge

Callie emménage en Irlande avec son père, laissant Londres derrière elle. En quittant cette ville, elle quitte Mia, sa meilleure amie, mais surtout tous les souvenirs en relation avec sa mère. Callie n’arrive pas à se faire à son nouveau foyer. Elle ne peut pas s’empêcher de penser à tout ce qui lui manque de son ancienne vie.
Lors d’une soirée pleine de nostalgie, Callie aperçoit une maison s’écraser au beau milieu de son jardin. Cela ne dure que quelques instants et déjà elle a disparu… Pourtant, c’était bien réel : il y a un gros cratère et des tuiles au milieu de son jardin ! En enquêtant avec son jeune voisin Sam, ils découvrent que la maison volante appartient à Winnifred, une magicienne. Elle leur apprend que sa demeure se meurt et que Callie est la seule qui puisse la guérir…
Rachel Chivers Khoo offre une agréable lecture aux jeunes lecteurs, pleine de fantaisie, au cœur d’une campagne irlandaise que l’on rêve d’explorer avec les deux enfants. Les illustrations qui accompagnent le texte sont envoûtantes, et la carte permet de se situer à travers tous les lieux de la région de Tollymore. Peut-être manque-t-on tout de même d’un peu plus d’émerveillement pour s’ancrer entièrement dans l’histoire, mais un jeune lecteur pourra se sentir transporté dans cet univers.
Ce court roman offre un beau message à  tous les enfants qui ont du mal à se sentir à l’aise dans un nouveau foyer. Il donne des clefs pour comprendre qu’une maison, ce sont d’abord les personnes qu’on aime. Celles qu’on laisse, elles, sont toujours dans les cœurs. Le roman passe assez rapidement sur la maladie de la mère de Callie ; elle apprend à en faire le deuil et à voir la beauté dans de nouvelles expériences pour vivre l’instant présent. Ma voisine la magicienne est donc un roman qui pourrait aider des enfants à découvrir des univers merveilleux, et à accepter les bouleversements de la vie.

Le Tablier de Tomio

Le Tablier de Tomio
Delphine Roux, Mickaël Jourdan
HongFei, 2024

Salade japonaise

Par Anne-Marie Mercier

Tomio est un petit japonais gourmet. Il a aussi la chance d’avoir un grand-père qui cherche à lui transmettre la tradition familiale : cahier de recettes ancestrales, tablier blanc à sa taille, ustensiles… Il a tout ce qu’il faut pour se livrer à sa passion. Lorsque son grand-père meurt, il a reçu aussi de lui un talent pour la broderie et l’idée d’un destin.
Les jolies aquarelles simples accompagnent cette histoire en donnant aux jeunes lecteurs amoureux du Japon des images de la vie dans un Japon idéal : petites maisons dans la verdure, repas en famille, marchés. Tout cela est à peine assombri par le deuil.  En prime (ne serait-ce pas le vrai but de ce livre ?) quatre recettes clôturent l’album : Omelette au riz, onigiri, glace au matcha, cake aux kakis.

 

Celle qui reste, L’Été de la reine bleue, Le Roi des sylphes

Celle qui reste
Rachel Corenblit, Régis Lejonc
Nathan (Court toujours), 2024

L’Été de la reine bleue
Estelle Faye
Nathan (Court toujours), 2024

Le Roi des sylphes
David Bry
Nathan (Court toujours), 2023

Une belle collec’

par Anne-Marie Mercier

Je découvre la collection de romans chez Nathan, «Court toujours», au titre intriguant. Oui, c’est court (pour celui-ci, il est écrit qu’il se lit en moins d’une heure et c’est exact). C’est joli, aussi, avec un format original, allongé, un graphisme travaillé, une esthétique inspirée par le style art nouveau de Charles Rennie Mackintosh (1868-1928) dont s’inspirent les belles couvertures de la série Blackwater de Michael McDowell, chez Monsieur Toussaint Louverture. Quant au contenu, la collection rassemble des auteurs bien connus de la littérature pour adolescent allant du réalisme à la SF dystopique (F. Hinckel, C. Roumiguière, C. Ytak, S. Servant, J. Witek, S. Vidal, T. Scotto, M. Causse, F. Colin, etc. On dirait que Nathan a passé commande à presque tout le monde). Les textes sont tous accompagnés d’une version audio accessible avec un QR code et certains sont aussi en version numérique

Celle qui reste est tiré de l’histoire d’Antigone. Celle-ci est la narratrice, et elle est « celle qui reste » et qui fait face. Elle commence à raconter ce qu’elle a entendu et vu depuis le moment où son père, Œdipe s’est aveuglé jusqu’au moment où elle part avec lui dans son errance en acceptant son destin. Le récit est sobre malgré l’horreur des faits. Chaque « acte » est une pierre de plus dans la dévastation d’une famille. Elle raconte comment elle a découvert son père ensanglanté, et comment celui-ci lui a expliqué son geste . Un autre acte la montre découvrant le corps de sa mère, pendue, un autre lui fait voir la brutalité et l’ambition de ses frères qui causeront ainsi indirectement sa propre mort dans un temps hors du récit, un autre l’oppose à Ismène sa sœur qui ne sait que sangloter. Le dernier est un temps de dévoilement de qui elle est, de ce qu’elle veut être. Après avoir été perdue dans la révélation de son origine, née d’un inceste, elle s’affirme dans sa vérité, se révoltant contre les dieux, « ces déments qui pensent que la vie n’est qu’une tragédie ».
La dignité d’Antigone et celle de son récit trouvent un écho parfait dans les beaux dessins de Régis Lejonc qui tracent des décors et des silhouettes en lignes épurées, comme dans les vases grecs peints,  et les rehaussent avec une palette réduite de blanc, noir et rouge.

 

L’été de la reine bleue se déroule dans un futur peu éloigné dans lequel les conditions de vie en Ile-de-France sont devenues difficiles : le niveau de la mer a englouti les zones côtières (et sans doute la Bretagne et les îles britanniques), les plus fortunés vivent à Paris, sous une coupole transparente qui les protège de la pollution, les autres sont relégués en périphérie, et sont très exposés au contraire ; les enfants souffrant de problèmes pulmonaires sont soit sont soit équipés d’implants, que l’on commence à expérimenter avec des succès variables, soit envoyés en centre de cure à la campagne. C’est ce qui arrive à la narratrice, désespérée d’avoir dû se séparer de son amie Chloé. Elle raconte, et en même temps elle écrit à Chloé, sur son téléphone, de longs messages qui ont du mal à partir, le réseau étant mauvais.
Dans un premier temps, portés par l’écriture fiévreuse de celle dont on ne connait pas le nom, ce qu’on lit est proche des récits d’enfants envoyés au loin en pensionnat : déchirure de l’éloignement, découverte des lieux, brimades, intervention d’une personne providentielle… C’est une fille, Jill, qui la sauve. Elle a son mystère, on la traite de monstre : elle a fait partie des premiers sur lesquels les fameux implants ont été installés. La suite est surprenante et belle, portée par la générosité de Jill et les choix de la narratrice. Nous allons de surprise en surprise, je n’en dirai pas plus.
En peu de pages l’autrice a pu installer un monde dystopique, une micro-société, des liens qui se défont dans le deuil et d’autres qui naissent, et presque un espoir de futurs possibles. La densité du récit n’empêche pas les moments méditatifs, comme les temps de plaisir face à l’océan que la jeune fille découvre, si proche enfin.

Le Roi des sylphes se situe dans le genre de la fantasy, par ses personnages. Il comporte le même nombre de pages mais est beaucoup plus léger – l’auteur abuse des alinéas, ceci explique en partie cela. L’intrigue est simple : la reine des sylphes veut que son fils, adolescent passe son initiation pour abandonner sa part humaine et se préparer à lui succéder. Le garçon ne veut pas, il est amoureux d’une humaine et pour vivre la vie qu’il souhaite il participe au complot qui va causer la fin de son peuple. Peu de surprises, peu d’épaisseur des personnages, on a du mal à s’intéresser à l’adolescent boudeur qui n’a rien compris, les couples peinent à exister, autant celui des deux jeunes gens que celui de la reine et de son ex amante, comme les personnages secondaires. L’ensemble est bien léger, à l’image du vent qui balaie tout dans le monde des sylphes, mais la couverture est superbe.

 

Les Hamsters n’existent pas

Les Hamsters n’existent pas
Antonio Carmona
Théâtrales jeunesse, 2024

Un hamster qui cache un éléphant

Par Anne-Marie Mercier

Cette pièce à cinq personnages présente de lourds mystères sous une allure d’abord légère. Le personnage principal, un jeune garçon nommé Baptiste, se confie en quelques monologues tandis qu’un personnage nommé « Elle » accompagne son récit, à la manière d’une narratrice. On devine rapidement que, tout en étant invisible, elle est impliquée dans l’histoire. Les autres personnages sont le père et la mère de Baptiste, et le nouveau compagnon de sa mère.
La situation est banale au départ mais elle bifurque assez vite : Baptiste adore littéralement son hamster qu’il a appelé Bubulle ; les parents de Baptiste divorcent ; son père a obtenu la garde de l’enfant mais il n’aime pas le hamster. Une nuit, Baptiste surprend son père en train de tuer Bubulle. Le lendemain, le père fait croire que l’animal s’est sauvé ; Baptiste fait semblant de n’avoir rien vu et entraine son père tous les jours à la recherche de Bubulle, jusqu’au moment où la vérité éclate, qui fait dire au père que Bubulle n’a jamais existé et que d’ailleurs « les hamsters n’existent pas »…
Le coup de théâtre qui suit, amène à la révélation d’un lourd secret (un « squelette dans le placard », dira la narratrice en révélant en même temps son identité : c’est elle). Le deuil d’un animal chéri, sujet sensible pour les enfants, fait place à un deuil plus terrible encore. Il a plombé toute la famille pendant des années. Le récit de la tragédie familiale évacue alors la rancœur avant d’amener à la réconciliation.
Belle catharsis, belle exploration des mécanismes du déni face à une trop grande souffrance, belle exploration de sentiments mêlés (Baptiste, menant son père en bateau a des émotions complexes), et surtout belle écriture théâtrale.

 

 

Dans tes rêves

Dans tes rêves
Christophe Pellet
L’Arche Jeunesse 2022

Songes de fin d’été

Par Michel Driol

Une courte pièce de théâtre dont les personnages principaux sont Josefina, 11 ans et son frère Clément 16 ans. Apparaissent aussi leur mère, une luciole et un renard des neiges. On est dans la chambre de la jeune fille, et, dans chaque scène « apparait » Clément. On comprend petit à petit que ce dernier est mort, mais Josephine l’interroge : pour quoi ne répond-il pas à son ami Flavien, qui s’étonne de ne plus le voir ? Elle écoute sa musique. Faut-il vendre son scooter ? Résilier l’abonnement de son téléphone ? A la fin, Clément raconte l’accident qui lui a couté la vie.

Utilisant le principe de fantôme, Christophe Pellet avec beaucoup de poésie parle du deuil, de la mort, de la disparition d’un être cher. Il y est question aussi bien de gestes quotidiens que du chagrin. L’espace de jeu devient alors un espace entre deux, entre réel et imaginaire, dans lequel se déploient les conversations familières entre le frère et la sœur, laissant le spectateur deviner petit à petit ce qui s’est passé. C’est une façon de montrer que les absents ne partent pas tout à fait, tant que subsiste un lien avec eux, mais c’est aussi une façon de dire qu’il faut bien les laisser partir. La poésie est là, dans le texte comme dans les situations, dans cet autocollant du renard des neiges collé sur le portable de Clément, dans ce personnage de la luciole, porteuse de lumière dans l’obscurité du deuil. Poésie aussi dans le titre qui est la dernière réplique prononcée par Clément à l’issue de chacune des scènes. Où sommes-nous ? Dans la chambre ou dans les rêves ? Au théâtre, c’est certain.

Consoler, adoucir le chagrin de la perte, voilà à quoi s’attache de beau texte de théâtre, aux illustrations pleines de douceur.

Des jours comme des nuits

Des jours comme des nuits
Sébastien Joanniez
Rouergue 2024

Faudra continuer à vivre…

Par Michel Driol

Trois parties pour ce roman bouleversant. Les jours d’avant, où Manon raconte la vie avec son père, des moments simples comme les matchs de foot où il la conduisait, ou le camping au bord de la mer. Image d’un bonheur simple qui parait immuable, éternel. Mais aussi souvenir du jour où son père est revenu en pleurs, après son licenciement, et souvenir des jours où il trainait dans la maison à faire des sudokus. Le jour où, récit du jour où son père s’est pendu dans le poirier du jardin. Les jours d’après, entre tristesse et douleur, mais aussi la pointe d’espoir finale dans une vie qui continue.

Sébastien Joanniez signe ici un récit à la première personne dont il faut d’abord signaler la rigueur de la construction. On est dans les jours d’après, et Manon se souvient avec émotion des jours d’avant. On sait qu‘il s’est passé quelque chose de grave, mais on ne sait pas quoi. Ce long retour en arrière, émouvant, montre, à partir de petits détails très concrets, de flashs de mémoire discontinus, en quoi la vie familiale est brisée.  C’est cette attention aux détails qui marque l’écriture de ce récit, dans une série de souvenirs arrachés, douloureux, signes d’une vie ordinaire. On y voit un père aimant, attaché à ses enfants, leur faisant visiter l’usine où il travaille, laissant sa fille conduire la voiture. Des petits riens, dont on ne mesure la valeur qu’une fois qu’on les a perdus, que la vie s’est disloquée, que les repères et les routines sont perdus, et qu’on mange des pâtes presque tous les soirs… C’est la force de ce roman de dire ces petites choses à hauteur d’adolescente, en suscitant une forte émotion chez le lecteur. Bien sûr, en filigrane, il y a la question du chômage, de la perte de repères liés à la perte d’emploi, tout ce qui entraine le geste tragique du père. Tout cela, répétons-le, est fort bien perçu à hauteur d’adolescente, qui s’attache à ces menus détails comme la barbe de son père, barbe qu’il rasera lorsqu’il aura retrouvé du travail. Mais c’est bien sûr la question du deuil, deuil d’autant plus difficile à faire que le père s’est suicidé, qu’il y a une forte scène dans laquelle la mère tente de le décrocher, de le réanimer, tandis que la fillette assiste, impuissante, à tout cela. Scène d’un réalisme précis, scène déchirante dans le récit qu’en fait l’enfant, victime et témoin, actrice et spectatrice. Que faire face à la douleur de l’absence qui paralyse, rend l’héroïne à son tour absente du monde ? La laisser envahir d’abord, avant de pouvoir réagir, conserver une veste qui sent encore l’odeur du père, et se souvenir des bons moments qui vont aider à survivre, sans rien oublier du passé, mais en continuant à préserver les bons côtés, le sens de la fête qui était aussi celui du défunt. C’est par une magnifique lettre au père défunt que se clôt ce roman à la fois tendre et pudique, véritable leçon de sagesse et d’acceptation de ce qui est arrivé.

Un récit sur l’amour et sur la perte qui ne laissera pas ses lecteurs indifférents, et saura les toucher par son écriture, sa immédiateté, son réalisme et sa construction fragmentaire, à l’image des souvenirs à coudre ensemble pour qu’ils fassent sens et qu’on puisse continuer à vivre.

Alice et le séquoia géant

Alice et le séquoia géant
Sébastien Gayet – Illustrations de Joséphine Forme
Editions du Pourquoi pas 2024

Du pouvoir des arbres

Par Michel Driol

Depuis la mort de sa mère, Alice est élevée par son père, qui n’a d’autre solution que la mettre en colo durant le mois de juillet. Mais, depuis ce décès, Alice est perturbée, solitaire. Dès le premier soir de son séjour, elle disparait, on ne sait où. Nuit après nuit, Alice se réfugie auprès d’un séquoia géant du parc, dans les branches duquel elle se réfugie, et qui lui permet, enfin, de se sentir bien.

En quatre chapitres, Sébastien Gayet brosse avec tendresse le portrait d’une Alice dans un pays de merveilles, fuyant un réel trop difficile à supporter pour se réfugier dans la nature, près d’un arbre consolateur, arbre dont on découvre à la fin qu’il abrite toute une forme de vies invisibles, mais pourtant bien présentes. Arbre qui, comme chez Lewis Carroll, est creux, mais ce n’est pas par son trou qu’il sera lieu de passage. Le récit touche à l’imaginaire et au merveilleux par un autre biais, lorsqu’Alice découvre que le nom de l’arbre est l’exacte anagramme du prénom de sa mère, donnant ainsi tout son sens à ce lien mystérieux. Lien fait d’une double protection, celle de l’arbre, qui protège Alice contre ses angoisses, celle d’Alice, qui se veut protectrice aussi de ce bon gros géant. Le récit, plein de poésie, suit Alice au plus près de ses pensées, de ses sensations (celles des doigts contre l’écorce),  de sa façon de communiquer avec l’arbre. Mais le récit vaut aussi par la bulle protectrice qui s’établit autour d’Alice, dans le parc – bien réel du Château de Soubeyran, où se déroulent les colonies de vacances de la FOL de l’Ardèche – , mais aussi avec le personnage de la directrice et celui du père, personnages bienveillants en retrait, qui semblent avoir tout compris des escapades d’Alice et de son attachement pour l’arbre.

Les illustrations de Joséphine Forme magnifient le bleu nuit, ou celui de l’heure bleue qui sert de cadre au récit. Principalement sous forme de strips, elles s’attachent à montrer la fillette sous différents aspects, ses angoisses dans sa chambre, sa découverte de l’arbre, son escalade, toujours plus haut, jouant sur les contrastes entre l’immensité de l’arbre et la petitesse de l’enfant, entre le blanc de ses vêtements et le sombre de la nuit, jouant aussi sur les cadrages, et les contre plongées pour montrer le ciel.

Que ce soit dans la réalité (construction de cabanes, exploration des branches, accrobranche…)  ou dans la fiction (les arbres-maisons chez Ponti, le Baron perché…), les enfants entretiennent des rapports particuliers avec les arbres. Evitant les écueils de la sylvothérapie,  le récit s’inscrit plutôt dans une poétique de l’arbre, opposant sa verticalité, sa façon de joindre la terre et le ciel, son immensité à la petitesse et à la finitude humaine. Il aborde aussi, avec beaucoup de délicatesse et de pudeur, la question du deuil d’un parent chez les enfants.