Comment chasser les zombis de mon lit ?

Comment chasser les zombis de mon lit ?
Béatrice Fontanel – Loïc Froissart
Seuil Jeunesse 2021

Méfiez-vous des écrans !

Par Michel Driol

Le narrateur vit seul avec sa mère depuis le divorce de ses parents. Lorsqu’il récupère une télé pour la mettre dans sa chambre,  il y passe toutes ses soirées, devient accro aux jeux, aux émissions de télé-réalité et aux films. Par ailleurs, il adore les jeux vidéos… Jusqu’au jour où ses parents s’aperçoivent qu’il a décidé de passer une nuit avec un copain dans un club de jeux en ligne, et jusqu’au jour où une panne de courant lui permet de découvrir autre chose que les écrans.

Béatrice Fontanel propose ici un texte plein d’humour sur les dangers des écrans pour les jeunes enfants. L’humour vient pour partie du traitement du lexique : émissions et marques de produits alimentaires prennent des noms légèrement transformés, mais tellement plus évocateurs ! Il vient aussi de la position du narrateur, à la fois conscient de certaines choses (la dépression de sa mère, infirmière, depuis le divorce, ses rapports complexes à la nourriture), et complètement inconscient du danger que lui font courir les écrans et de ce qu’ils véhiculent. Tout est raconté à hauteur d’enfant, avec une certaine naïveté et des notations amusantes relatives aux rapports avec le collège, avec les camarades de classe et avec les adultes. Les illustrations, très colorées, ont aussi quelques traits naïfs et enfantins qui s’accordent parfaitement avec l’esprit du texte.

Sans moraliser, sans culpabiliser non plus les parents, ce petit roman aborde l’un des problèmes des enfants et jeunes ados d’aujourd’hui dans leurs rapports aux écrans, et propose des solutions. Reste à chacun à trouver le déclic pour les mettre en œuvre  en fonction de sa propre sensibilité pour aller sainement vers les autres.

L’âge au fond des verres

L’âge au fond des verres
Claire Castillon
Gallimard Jeunesse 2021

Les désarrois de l’élève Guilène

Par Michel Driol

Fille unique, assez bonne élève docile, Guilène vient d’entrer en sixième. Avec la découverte de nouveaux codes, elle prend conscience de la vieillesse de ses parents, 53 et 71 ans, alors que les parents de ses camarades de classe sont de fringants bobos trentenaires. Se rajoute à cela une professeure de maths particulièrement tyrannique qui terrorise la classe entière. La classe s’unit avec l’élection d’un délégué et la volonté de monter des spectacles.

Voilà encore une chronique familiale et scolaire, pensez-vous… Une de plus… Certes, mais une qui sort du lot par la force de l’écriture de Claire Castillon, et sa façon de s’inscrire avec bonheur dans la tradition du roman psychologique à la française. Laissant la parole à son héroïne, elle montre à quel point l’entrée en sixième constitue un rite de passage, avec un avant et un après, qui conduit à remettre en cause, douloureusement, des certitudes enfantines. C’est aussi la découverte d’autres milieux sociaux qui font envie à Guilène, d’autres parents plus beaux et plus fringants que les siens, d’autant plus que ses camarades ne sont pas tendres avec ses parents, que l’auteure n’a pas cherché à arranger : le père est chauve et bedonnant, la mère se complait à des chaussures qui vont bien à ses pieds… Dès lors Guilène est déchirée entre l’amour qu’elle porte à ses parents et sa honte à leur égard. Ce que l’autrice pointe avec finesse, c’est la relation entre parents et enfants, les plus âgés n’étant pas forcément les plus rétrogrades ou les moins ouverts à l’épanouissement et au bonheur de leur enfant. Elle y parvient avec toute une série de petits détails réalistes qui font pénétrer dans l’intimité de la famille de Guilène, dans l’évocation et la description d’objets ou d’attitudes à la fois dérisoires et symboliquement forts qui marquent le lien familial, objets « ringards » comme le coucou dont la famille attendait la sortie de l’oiseau, mais qui se retrouvent chargés d’émotion, rituels comme l’anniversaire du père, les jeux de société ou le gouter dinatoire du dimanche soir. L’entrée en sixième bouleverse tout cela, et Guilène apprend à vivre avec ses différences, et prend lentement conscience qu’elles ne constituent pas un handicap : ce sont ses parents qui ont le courage d’inviter toute la classe à la maison, ce sont eux seuls qui, à l’écoute des souffrances de leur fille en mathématiques, prennent rendez-vous avec le proviseur. Guilène découvre aussi le danger à ne croire qu’aux apparences, car sous des dehors attirants peuvent se cacher bien des douleurs et des souffrances.

Le roman parle de la difficulté à accepter les différences, différence de classe, différence d’âge, différences psychologiques et de l’envie d’être comme tout le monde, de ne pas se singulariser. L’une de ses forces est qu’il sait s’inscrire dans le temps court : entre la rentrée et les vacances de février, dans des lieux bien identifiés (l’appartement, le parc, le collège) et autour de quelques personnages (Guilène, Cléa, Aron) avec une écriture pleine de drôlerie et de malice, car, tout en laissant la plume à son héroïne, l’autrice reste présente pour, en quelque sorte, la mettre à distance dans sa prétention un peu naïve à penser que tout a changé depuis qu’elle est en sixième. Rien de tragique donc dans ce roman dont certains passages, pourtant, ne sont pas loin du drame, façon pour l’autrice de souligner la fragilité des enfants face aux problématiques qu’elle évoque : les relations avec les adultes, avec les autres, les rites de passage, la conscience du temps qui passe. Car, au fond, ce qui terrifie le plus Guilène dans l’âge de son père, c’est qu’il peut mourir.

Un roman émouvant, tendre, drôle, optimiste, mais aussi cruel, un roman dont l’auteur aime ses personnages, et qui saura toucher ses lecteurs.

Paloma, papi et moi

Paloma, papi et moi
Julie Rey – Illustré par Anne Simon
Ecole des Loisirs – Neuf – 2021

Entre ciel et mer…

Par Michel Driol

Paloma, c’est le nom du Cessna à bord duquel Marin adore voler avec son grand père. Jusqu’au jour où le grand père, victime d’un problème cardiaque, doit cesser de voler. Alors le père de Marin décide, en secret, de réapprendre à piloter pour lui faire plaisir.

Ce roman est une petite chronique familiale bien inscrite dans une région, la Bretagne, et une réalité sociologique : le père de Marin est pêcheur, sa mère, d’origine algérienne, est enseignante. Cette chronique, écrite à la première personne, met l’accent sur la relation privilégiée entre un enfant et son grand-père, mus par une passion commune. Entre les deux c’est à la fois une histoire faite de complicité, représentée ici par les bonbons que le grand père achète, des Tudisrienatamere, et d’intimité, matérialisée par le cockpit et les échanges qu’ils ont à bord, lorsqu’ils commentent le paysage. C’est un « feel good » roman, dans lequel les personnages sont bienveillants, où le lien familial est solide. C’est aussi un roman pudique, dans lequel le lecteur pressent le drame toujours possible, plus ou moins perçu par le narrateur (les adultes disent toujours que ce sont les oignons qui les font pleurer…). C’est enfin un roman à l’écriture soignée, qui offre un regard d’en haut sur la terre, les falaises, la mer. Les illustrations, souvent en tête de chapitre, en pleine page, qui reprennent la technique de la ligne claire, sont chaleureuses et colorées, dessinant un monde parfait.

Un roman agréable à lire, qui parle de relations familiales et de transmission avec optimisme.

Angie !

Angie !
Marie Aude et Lorris Murail
Medium + – Ecole des loisirs 2021

Meurtres au Havre

Par Michel Driol

Il arrive que la littérature populaire – au sens noble du terme – s’écrive à quatre mains. Boileau-Narcejac, Erckmann Chatrian… Dans la famille Murail, on aime bien cette tradition, et, après L’Expérienceur (Marie-Aude – Lorris), la série Golem (Marie-Aude, Lorris et Elvire), voici un roman policier dans lequel on retrouve tous les ingrédients de la littérature populaire, de ces mauvais genres qu’on lit d’une traite. Une adolescente hypermnésique, prénommée Angie car son père, que bien sûr elle n’a pas connu, adorait cette chanson. Deux jumeaux, incarnation du bien et du mal, jusqu’à ce que… Une famille riche et puissante dans une villa aux portes de la ville. Le retour ce celui qu’on croyait mort. Des dockers syndicalistes. Du spiritisme. Une cité ouvrière. Un policier geek sur les bords, cloué en fauteuil roulant qui ne laisse pas indifférentes une infirmière au grand cœur et sa commissaire… Une baby-sitter enfermée dans un conteneur. Une ancienne Miss Normandie héritière des femmes fatales du roman noir. Et surtout Capitaine, une chienne policière dressée à renifler les drogues en tout genre, mais ne parlant qu’anglais… Bref, toute une galerie de personnages et une série de situations qui font de ce roman un petit bijou.

Ajoutons que celui-ci se déroule au Havre, ville d’origine des auteurs, et que le Havre, ses dockers, son port, son quartier des Neiges, l’escalier de Montmorency est à la fois un décor et un personnage, avec ses contradictions sociales, ses espoirs, son parler cauchois savoureux, mais aussi lieu d’une perte des valeurs. Quant à l’inscription dans le temps, voici un roman situé en plein printemps 2020, temps du confinement qui pèse sur Angie, obligée de suivre l’école à la maison, qui pèse sur sa mère, infirmière à domicile, qui ferme le commissariat, devenu cluster.

L’intrigue est particulièrement bien construite, qui mêle le passé (évoqué dans le premier chapitre, 2000) et le présent, qui mêle des histoires familiales intimes et le trafic international de drogue, qui mêle dimension policière et dimension sentimentale. Car nous sommes chez les Murail, ne l’oublions pas, avec cette dose d’humour qui affleure sans cesse, avec cet optimisme et cette joie de vivre communicatifs qui habitent des personnages parfois déjantés, borderline, mais toujours sympathiques et positifs !

Quant à la chute, on ne la révélera pas, on signalera simplement qu’une suite est annoncée ! Vite !!!!

7 milliards ce cochons et Gloria Quichon

7 milliards de cochons et Gloria Quichon
Anaïs Vaugelade
Ecole des Loisirs 2020

Trouver l’être élu !

Par Michel Driol

D’une certaine façon, Anaïs Vaugelade est aux cochons ce que Claude Ponti est aux poussins : dans la série Famille Quichon, voici un opus qui fait le portrait de Gloria. Elle regarde, indifférente, les filles courir après les garçons pour les attraper durant la récréation, puis les garçons courir après les filles. Le soir arrive la question qui la taraude : comment savoir que l’être aimé est son amoureux parmi les 7 milliards de cochons qui peuplent la planète ? Le lendemain, à la cantine, il y a la dame de service qui pleure si elle enlève ses lunettes en forme de cœur : est-ce pour de vrai ? Mais à la récré, on court quand même après les garçons, parce qu’après, la récré sera terminée…

Comment les enfants perçoivent-ils l’amour ? Quelles questions se posent-ils à son sujet ? Quels comportements amoureux ont-ils ? Ce sont ces questions que pose cet album à la fois sensible et plein d’humour. Sensible, car tout est suggéré plus que dit, en particulier à travers le personnage de Gloria, à la fois spectatrice des jeux de course-poursuite être filles et garçons, et y participant, comme s’il y avait un temps pour chaque chose, et même si on en perçoit l’inutilité ou la futilité par rapport à ce qui s’y joue, il est un âge pour y participer. Plus mûre que les autres, elle interroge ses parents sur ce qui a causé leur relation. Humoristique dans les réactions et les propos de Gloria, en particulier sur la relation quasi mathématique et improbable entre les 3 cochons rencontrés par sa mère et le 7 milliards…, humour encore dans ce personnage de dame de cantine, qui porte ses lunettes comme un masque. Humour enfin dans les illustrations, ces cochons humanisés tellement vrais et pleins de vie !

Un album pour aborder la question des relations amoureuses, en la décomplexant…

La foule, elle rit

La foule, elle rit
Jean Pierre Cannet
Théâtre Ecole des loisirs 2010

Clown sans frontière

Par Michel Driol

Neuf tableaux pour évoquer le destin de Zou et de ses deux frères. Dernier d’une fratrie de trois, Zou part aussi tenter sa chance en Europe.  Neuf tableaux dans lequel ses frères lui racontent leur mort, l’un sur un bateau, l’autre dans le tunnel sous la Manche, neuf tableaux où on voit sa mère lui tricoter son costume de clown, car à quoi bon être invisible pour passer les frontières ? Neuf tableaux qui culminent à la mort de la mère, tandis que Zou remet son nez rouge…

On sait bien qu’au théâtre la mort rôde toujours entre les pendrillons. Ici, le théâtre est un moyen de mettre en relation les vivants et les morts, l’ici et l’au-delà. Voilà une façon sensible et originale de parler des migrants, sans pathos, à travers les récits d’une famille détruite par l’exil. Le personnage du clown fait rire, là où il voudrait pleurer. La foule rit tandis que le drame se déroule, et le clown lui-même est condamné à rire. Façon de parler de la société du spectacle, du pouvoir aussi de la parole, car Zou répète sans cesse que c’est le dernier qui parle qui a raison. Et c’est lui qui a le dernier mot : comme une invitation à espérer et à vivre, en portant en soi le souvenir de la tendresse de tous ceux qui sont morts.

Un pièce sensible et originale sur un thème actuel.

Le Gâteau tout seul

Le Gâteau tout seul
Isalbelle Damotte / Cathy Gagnaire
Soc et Foc 2017

Le gout des choses, le gout des mots

Par Michel Driol

Un recueil de poèmes aux titres alléchants, évocateurs  des dimanches en famille ou des gouters d’enfants : la tarte aux pommes, le flan Ancel, le riz au lait, la régionale tarte aux blettes ou l’improbable gâteau de fromage de vache et salsifis confits aux oranges sanguines. Le premier texte donne le ton : nostalgie d’un temps perdu, souvenirs émus d’une Mamie Pomme disparue, fée perdue en chemin, laissant orphelins les petits enfants, avec le poids de l’absence, à la fois si léger et si lourd : manquait le poids de trois fois rien… Mais on peut refaire les gestes appris, devenus familiers, trancher les pommes, les assembler en rosace et retrouver les émotions du passé. Le recueil dit cet entre-deux, entre transmission et absence, à partir de sensations simples, de rituels, de complicité. Le recueil dit aussi le temps qui passe, les deuils, les enfants qui grandissent et partent, la perte aussi avec ces souvenirs des gâteaux de l’enfance que l’on n’a jamais réussi à refaire, à l’identique.

Si le recueil dit l’absence et le manque, il dit aussi le désir et la gourmandise. Désir enfantin de profiter des pignons sur la tarte, ou de la cerise sur le gâteau. Le recueil parle de plaisirs partagés, plaisirs simples d’une pâtisserie familiale qui se transmet de mère en fille. Tout se joue autour de quelques pronoms : elle et tu, parfois je et vous. Elle, c’est surtout la fée grand-mère, la mère. Je et tu incarnent plutôt des figures féminines et enfantines, comme en écho, écho de l’auteur, écho du lecteur, figures de l’enfance éternelle. D’autres figures de l’attente et du public s’inscrivent aussi dans le texte : celle des grands, pour qui l’on prépare du pain perdu, au cas où ils passeraient pour le diner, grands pour qui l’on dépose sur la table les serviettes qu’ils ont d’abord noué autour de leur cou avant de les mettre sur leurs genoux. Vous enfin figure du public, réclamant pour la fin quelque chose de gai, mais hors de la portée d’une pâtissière experte en mots…

Plaisirs simples de l’enfance, situations de la vie quotidienne, parfois  plus ascétiques, comme le pain et les pâtes de fruit du pensionnat, décrits dans une langue simple, joueuse et accessible à tous : le recueil invite à profiter avec gourmandise des mystères magiques de l’instant et à se plonger dans les souvenirs. Les illustrations colorées de Cathy Gagnaire,  avec une technique mixte, prolongent en douceur cette évocation.

13 Martin à Noël

13 Martin à Noël
Sophie Marvaud
Poulpe fictions, 2019

Noël au château (vide)

Par Anne-Marie Mercier

Nous découvrons une nouvelle maison d’édition, au slogan attirant : « Poulpe Fictions, le label venu des profondeurs pour chatouiller les lecteurs ! ». Le chatouillis est bien la marque de cette maison rattachée à Edi8 qui privilégie l’humour et propose des œuvres de différents genres (espionnage, fantasy, aventures, roman réaliste…) bousculant les stéréotypes par l’humour et les décalages.
13 Martin à Noël illustre en tout cas cette pente : l’idée de départ est originale et joue sur la banalité du nom de Martin, qui serait, dit-on, le nom de famille le plus porté en France.
Sébastien Martin reçoit une lettre d’une inconnue nommée Marie-Adélaïde de Bellevue qui l’invite à venir dans son château de Bellevue pour Noël, avec sa femme, ses deux enfants (dont la narratrice, Joy) et son père, qu’elle semble connaitre (celui-ci, en voyage au loin, ne peut les renseigner).  Une fois arrivés, ils découvrent qu’ils ne sont pas les seuls invités : il y a treize familles (52 personnes) conviées par la même lettre, treize familles dont le père est nommé Sébastien Martin. Quant à Adélaïde, elle reste introuvable, même si elle leur a laissé des indications, des victuailles et la promesse qu’elle arrivera avant minuit… Les Martin s’organisent et montrent une belle solidarité pour faire malgré tout une fête avec les provisions laissées par la châtelaine, de l’imagination et le talent de chacun.
Les mystères sont dévoilés au fur et à mesure, tandis que d’autres apparaissent. Joy se lance, avec son frère et sa nouvelle amie dans plusieurs aventures nocturnes dans le château qui semble abandonné, mais pas tout à fait (frissons garantis), et dans le grand parc envahi de ronces…

 Le site de Pouple fictions est très bien fait, on y découvre de nouveaux auteurs mais aussi d’autres plus connus (Clémentine Beauvais, Geneviève Brisac, Alice Brière-Haquet, Charlotte Bousquet…). Les enseignants ont leur « coin », avec des présentations d’ouvrages, des vidéos et des fiches – pardon, des « contenus », la distinction est intéressante – pédagogiques (le document que j’ai consulté sur La Revanche des princesses est bien fait, orienté vers l’égalité filles-garçons, comme d’autres titres mettant en scène des filles : Le Poulpe semble s’adresser surtout à des lectrices).

 

Les Mains de ma mère

Les Mains de ma mère
Yvon Le Men illustrations de Simone Massi
Editions Bruno Doucey collection Poés’Histoires 2019

Nul ne guérit de son enfance…

Par Michel Driol

On pourrait entrer dans ce recueil par les titres : Au bureau de tabac, le mouchoir, l’île de mes parents, la baie de l’enfer, François le grand-père de mon voisin, Inconnus mais pas étrangers, des ailes qui se reposent, le rouge-gorge, le pic épeiche, arc-en-ciel, le phare, chasseurs-cueilleurs, la main verte, la chapelle, une bouteille à la mer, je t’aime, un désir de poème, le dernier mot, le bon sens des mots, entre père et fils. Se dessineraient alors une histoire et une géographie, une histoire qui irait de la mère au père, une géographie bretonne, maritime, emplie de toute la vie de la nature et des hommes.

On pourrait entrer dans ce recueil par les illustrations de Simone Massi, qui presque toutes incluent le visage d’un enfant : confidence de la mère en couverture,  courant sur la plage sous son regard, contemplant le mont St Michel, en bord de mer, près d’un phare, lisant un livre, la main dans celle de son père. Deux illustrations échappent à ce système : celle des poilus dans une tranchée, celle d’un  personnage regardant par la fenêtre, saisi de dos. Comme un fil d’Ariane, reliant toutes ces illustrations, une tache de couleur : rouge d’abord, orange ensuite, bleue, puis enfin rouge. Comme un parcours entre la chaleur et la froideur, puis la chaleur retrouvée.

On pourrait alors lire ce recueil d’Yvon le Men comme une autobiographie dans laquelle se croisent les souvenirs familiaux, la transmission, l’accueil et l’attachement à la Bretagne, à ses paysages. Lire sa poésie pour ce qu’elle est : une poésie des choses simples, énoncée avec une apparente simplicité – mais on sait bien que c’est là le plus difficile. Une poésie qui part toujours du concert, de cette carte bancaire muette au bureau de tabac, de ce mouchoir plié par la mère, déplié par le fils après sa disparition : façon de dire la transmission, le passage, ce qui ne sera plus jamais. Restent alors les souvenirs de l’enfance, autre façon de dire des valeurs, le souci du lien, du partage, de l’accueil, de la fraternité et la haine des guerres. La poésie d’Yvon Le Men est de celles qui relient, qui relient les hommes entre eux, dans la famille, dans le monde, qui relient les hommes à la nature qui les entoure. Ce lien est toujours dit par des choses simples et concrètes, la main dans la main, le mouchoir, le pain que l’on partage. Revient, comme un leitmotiv improbable, la thématique de la neige, comme un désir de blancheur qui unirait le monde entier, comme un rêve d’enfant face aux merveilleux des flocons.

Une poésie enfin qui se dit pour ce qu’elle est, désir de poème, travail avec les mots, images qui suggèrent, poèmes qui tissent le lien avec le lecteur, sans qui ils n’existeraient pas.

Un texte et des illustrations de qualité, dans un collection qui rend les poètes contemporains accessibles à tous.

Journal d’un amnésique

Journal d’un amnésique
Nathalie Somers
Didier jeunesse, 2019

En immersion

Par Christine Moulin

Il n’aura échappé à personne que les amnésies totales sont plus fréquentes dans les romans et les séries que dans la réalité. Voici donc, encore une fois, le récit, sous forme de journal intime, d’un adolescent, Romain, qui a été retrouvé inconscient dans un couloir de son lycée et qui se réveille sans plus rien savoir de son passé.

La narration est habile: comme le veut le genre, le lecteur partage les angoisses du personnage et ses vains efforts pour évoquer quelques souvenirs. Et comme souvent, des indices dérangeants, qui soulèvent beaucoup de questions, sont distillés tout au long des pages: pourquoi son portable a-t-il disparu? Pourquoi l’atmosphère est-elle si pesante chez Romain? Pourquoi ses parents semblent-ils lui cacher des éléments de sa vie d’avant? Qui était vraiment Romain? Celui qui écrit ou un autre, moins « cool », plus renfermé (interrogation que résument assez bien ces quelques lignes de la page 34: « Je me rends compte que je viens d’écrire un truc complètement idiot. Qu’est-ce que ça veut dire « si j’étais quelqu’un d’autre » puisque je ne sais pas qui je suis? »)?

Ce sont ces  incertitudes sur l’identité qui font l’intérêt majeur du roman: finalement, l’amnésie de Romain, la seconde chance qu’elle lui propose, semblent en quelque sorte la métaphore de ce qu’exige l’adolescence, la lutte pour l’indépendance et la nécessaire affirmation de soi: il faut notamment apprendre à dire « non » quand c’est non, mais aussi tenter de se connaître et de se définir autrement qu’à travers le regard et le désir des autres.

Il est dommage que cette justesse dans l’enjeu de la quête de Romain ne se retrouve pas complètement dans la construction des personnages, un peu trop caricaturaux et stéréotypés parfois. Mais cela ne nuit pas à l’intérêt du roman, solidement construit pour faire durer le suspens et pour faire en sorte que le lecteur s’attache et s’identifie au héros.