Mamie fait sa valise

Mamie fait sa valise
Gwladys Constant
Rouergue 2019

Tout est toujours à remailler du monde…

Par Michel Driol

Mamie a quitté pépé, et vient habiter dans la famille d’Armand. Tout cela parce qu’elle en a assez, parce que son mari ne lui fait plus de cadeaux, ne s’occupe plus d’elle… Pour Armand, une seule chose à faire : réconcilier ses grands-parents. Ce à quoi il s’emploie, faisant l’intermédiaire entre eux, invitant son grand père à faire telle ou telle chose, en fonction de ce que sa grand-mère lui dit. Mais la grand-mère est difficile ! Et Armand ne se décourage pas ! L’Amour triomphera à la fin, avec un second voyage de noces en Italie, le pays d’origine…

Gwladys Constant signe là un roman léger – ce qui n’est pas un défaut – et plein d’humour. Le récit est pris en charge par Armand, et tout est donc vu à travers ses yeux d’enfant qui ne comprend pas toujours le monde des adultes, mais qui s’avère un petit garçon au grand cœur plein de bonne volonté. Le texte fait la part belle à des dialogues savoureux. Les situations cocasses s’enchainent, la grand-mère se révélant assez déjantée – entre la Vieille dame indigne et Tatie Danielle. Les relations entre adultes – le gendre, la faille et la mère sont aussi vues à travers les yeux de l’enfant : que faire quand votre chambre à coucher est squattée ? Dans ce roman, comme souvent en littérature jeunesse, les adultes s’avèrent assez enfantins, et les enfants remettent le monde en ordre. Voici donc le portrait d’une famille un peu folle – comme Gwladys Constant semble aimer  les dépeindre pour notre plus grand bonheur. (Voir notre chronique sur Philibert Merlin)

Un roman drôle, agréable à lire, optimiste, qui montre aussi comment un enfant grandit et découvre la complexité d’un monde qu’il n’interprète pas toujours bien.

Les Riches Heures de Jacominus Gainsborough

Les Riches Heures de Jacominus Gainsborough
Rébecca Dautremer
Sarbacane, 2018

Le Très Riche Album de Rébecca Dautremer

Par Anne-Marie Mercier

« Les Riches Heures » évoque un ouvrage médiéval, un livre d’heures enluminé. Mais Rébecca Dautremer nous livre ici une version toute laïque de ce calendrier : on y égrène le temps : non pas des mois mais des années, celles vécues par le héros, de sa naissance à sa mort. Une vie « riche » non parce qu’elle est exceptionnelle, mais parce qu’elle a été vécue pleinement et longuement. C’est ainsi que, avant de s’endormir pour la dernière fois, Jacominus fait le bilan de son passage : « je n’ai pas été un héros, et ma vie a été simple. Ce fut une petite vie, vaillante et remplie. Une bonne petite vie qui a bien fait son travail. Je t’ai bien aimé ma petite vie ».

On le suit de la naissance à la mort : une famille aimante avec plein d’amis (ils remplissent les pages, notamment les pages de garde, légendées, où l’on peut jouer à les reconnaitre, à se souvenir des liens de parenté et d’amitié), un accident qui le laisse estropié, des difficultés à trouver sa place à l’école et ailleurs, des difficultés à rester en place et donc des voyages, des progrès dans la compréhension des autres, dans le rapprochement avec Douce, celle qu’il préfère, des moments où le quotidien s’impose et oblige à renoncer à ses propres rêveries pour répondre aux demandes du réel, notamment à travers ses enfants, du temps pour comprendre que l’on change et que le temps passe… C’est un mini traité de la « vie bonne », pas très facile et ordinaire, mais portée par l’affection, le courage et l’attention.

Rébecca Dautremer a pris pour un héros un personnage animal : malgré son nom (Jacominus Stan Marlowe Lewis Gainsborough), Jacominus est un petit lapin : mais ce n’est nullement une façon de se lancer dans les « histoires de lapin » dénoncées par Christophe Honoré dans Le Livre pour enfants, il n’y a rien de niais ni de futile. Tous les personnages sont des animaux (lapins, poules et coqs, chiens et chiennes, chèvres et boucs…) mais ils sont fortement anthropomorphisés et vivent dans des décors urbains, des maisons, des paysages travaillés. Ils vivent des vies d’hommes : école, voyage en mer, guerre…

Enfin, les images inscrivent ces « heures » dans l’histoire et dans l’histoire de l’art : les jeux d’enfants dans la neige évoquent Brueghel, des paysages font penser à Seurat, à Eugène Boudin (à moins qu’il faille chercher du côté du cinéma (Ma Loute de Bruno Dumont ?), une vue urbaine à Hopper, une scène de guerre dans la neige a un air de déjà vu (campagne napoléonienne ?), la page qui se lit verticalement est sans doute proche d’une illustration d’Alice au pays des merveilles… et bien d’autres encore qu’il faudrait chercher si l’on voulait tout savoir de la fabrique de l’album.

Mais il n’est pas besoin de chercher si loin pour tirer de la lecture et de la contemplation un plaisir parfait, que ce soit celui des enfants ou celui des adultes.  C’est un grand album, aussi bien par sa taille (le format est haut et plus large que d’ordinaire en proportion, ce qui donne des doubles pages proches du panorama), par son sujet, par la richesse, la variété et la beauté de ses images, par la simplicité et la musicalité du texte.

Laughton

Laughton
Stéphane Jaubertie
Editions Théâtrales Jeunesse

L’automne, et puis…

Par Michel Driol

La naissance de Laughton  a lieu entre la scène 1, où l’on assiste au départ de l’Homme, et la scène 2, où on le voit revenir un peu moins d’un an plus tard. Mais il ne reconnait pas Laughton. Laughton grandit, entouré de la femme, sa mère, qui passe son temps à écrire, de l’Ours – qu’il appelle Papa – , qui ramasse les feuilles mortes, de son petit frère – personnage absent – et de Vivi, une fillette de son âge, qui n’a pas la langue dans sa poche. Seul dans sa famille, cherchant l’amour de ses proches, Laughton s’en va… si l’on en croit la mère, à la fin, dans une maison de santé

Après Létée et Livère, voici Laughton. Les deux premières pièces avaient comme héroïnes des filles qui, pour différentes raisons, changeaient de famille. Laughton, lui, est un garçon, malaimé par les adultes qui n’écoutent que leurs peurs ou leurs désirs. Laughton cherche à exister dans cette famille, à attirer l’attention sur lui, à aider. Mais, avec brutalité, les adultes le rejettent. Quant à Vivi, qui dira à la fin s’appeler Marie Antoinette, elle le surnomme Plouc. Elle se veut unique, prétend habiter une grande et belle maison, appartenir à la bonne société… Mais est-ce si sûr ?

On le voit, le texte met en scène les relations familiales, sociales, et la parole, à travers une alternance de scènes et de monologues de Laughton. A défaut de pouvoir parler aux autres, Laughton se parle et se dit. Le texte montre une parole refusée, une parole tentée, une parole sur le théâtre aussi dans une étonnante scène où Vivi donne son point de vue très négatif sur le théâtre : ça raconte mal, on n’y comprend rien, ils gueulent comme des vaches. Où se trouve la vérité ? Que peut-on en saisir ? Sommes-nous condamnés à la solitude ? Et pourtant la fin est optimiste : la mère semble avoir compris qu’elle doit parler, raconter à Laughton, révéler les secrets… Mais le pourrait-elle ? la pièce ne le dit pas.

Avec Laughton, Stéphane Jaubertie continue son exploration sensible de ce qu’est trouver sa place au monde…

Une drôle de famille

Une drôle de famille
Piret Raud
Rouergue 2018

Loufoques Caractères

Par Michel Driol

Adam présente les membres de sa famille, dans une série de 26 portraits. Cela va de tante Sylvie au prince Pierre,  du général Charles à sa sœur Mia. Des disparus comme l’arrière-grand-père Edouard à ceux qui sont à naitre, comme le fils d’Adam. On croise des objets quasi magiques, un médaillon, le sac à main de maman… et des animaux, une mouche, un chien… Chacun de ces personnages présente une particularité qui le fait sortir de la norme : Lena, qui pour devenir championne, ne mange que des carottes e transforme en lapin. Tante Sylvie qui garde son cœur au congélateur. Papa qui devient le portrait craché de sa chienne Polla. L’oncle Cochon qui a une petite fente sur la tête. L’arbre généalogique d’Adam est moins un arbre qu’un mille pattes… qui partirait dans tous les sens.

Dans ce nouveau recueil de Piret Raud, on retrouve sa facture : une galerie de portraits, avec des personnages qui sont tous particuliers, à la limite du fantastique, et un lien particulier entre les humains et les animaux, sans que cela ait quoi que ce soit d’extraordinaire aux yeux du narrateur enfant. Il accepte sans s’étonner toutes ces différences qui font la richesse d’une famille nombreuse, les dépeint pour le plus grand plaisir du lecteur. Cet univers de pure fantaisie n’est pourtant pas dépourvu de morale, et nombre de portraits se terminent par une petite phrase qui est une leçon de vie : accepter les différences, certes, mais surtout s’accepter soi-même sans chercher à devenir autre, et découvrir à quel point certains peuvent être altruistes.

Un recueil remplir de portraits saugrenus, drôles, mais présentés avec beaucoup de tendresse et de bienveillance : de quoi donner envie d’entrer dans cette famille où, si l’on peut rire les uns des autres, c’est sans méchanceté aucune.

Le Robinson suisse

Le Robinson suisse
Johann David Wyss
Adapté par Peter Stamm, illustré par Hannes Binder
Traduit (allemand) par Lionel Flechlin
La Joie de lire (Encrage), 2017

Impossibles Robinsons

Par Anne-Marie Mercier

On ne peut que se réjouir de l’initiative de La Joie de lire (éditeur à Genève) pour  transmettre aux lecteurs francophones une nouvelle adaptation de la célèbre robinsonnade du pasteur suisse allemand Johann David Wyss. Cette variation sur l’ouvrage de Defoe n’a plus rien à voir avec le lamento sur la solitude de son modèle : c’est une famille entière, les deux parents et leurs quatre fils, qui a trouvé refuge sur une île déserte après avoir fait naufrage (l’équipage du navire les a abandonnés et s’est enfui sur les chaloupes de sauvetage). Parvenant à rejoindre le navire grâce à des procédés simples et ingénieux, comme Robinson, ils vident l’épave de tout ce qu’elle contient et installent une micro société cueilleuse, chasseuse, pêcheuse, agricole et industrieuse : le père, instituteur, sait tout sur tout et a mémorisé tous les détails des livres de voyages qu’il a lus, détaillant les propriétés des plantes et les techniques des peuples sauvages…
Un campement sous une toile à voile est remplacé par une cabane dans les arbres, puis par une maison en dur creusée dans le roc. Chaque expédition est l’occasion d ela construction d’une nouvelle cabane. Arbre à pain, calebasses, autruches, buffles… tout est utile, tandis que les pitreries d’un petit singe apprivoisé égayent le tableau ; dans les derniers chapitres, l’ombre d’une jupe apparait enfin, pour le plus grand bonheur du fils ainé, précédant de peu la civilisation. Si les nouveaux Robinson ne se soucient guère de bien-être animal, ils sont attentifs à la nature et à sa beauté, refusent le gaspillage, et l’île est, grâce à leurs efforts, prête à la fin du volume à devenir la « Nouvelle Suisse » qui inspirera Jules Verne dans Seconde patrieJules Verne avait déjà réécrit l’histoire de la famille dans L’oncle Robinson (1861) et repris des éléments dans L’île mystérieuse). (pour les détails, voir la thèse de Anne Leclaire-Halté). C’est en somme une belle utopie familiale, où chacun participe à hauteur de ses moyens et de ses goûts et où l’on s’éduque et on s’instruit tout en agissant et en grandissant.
Ecrite par Wyss pour ses quatre fils qui lui ont servi de modèle, reprise par son fils Johann Rudolf et publiée en 1813 à Zurich, traduite immédiatement en français par Isabelle de Montolieu, cette histoire aurait aussi été popularisée par une deuxième traduction de la même traductrice (merci à Wikipedia pour ces indications !) largement revue, avec une suite, une autre paraissant peu après, de l’auteur lui-même pour lui faire concurrence… Cette œuvre fait ainsi partie des classiques maintes fois réécrits, raccourcis, trahis, expurgés (notamment des références à la religion et à la morale, très nombreuses) sans doute à cause de sa longueur, de son style désuet, et de son absence d’intrigue aventureuse. C’est un bonheur de retrouver ce livre, avec de nombreuses gravures, et c’est sans doute une bonne chose pour ses futurs jeunes lecteurs qu’elle ait été allégée de beaucoup de discours moraux qui aujourd’hui lasseraient. Néanmoins, l’abréviation n’est pas sans inconvénients et la lecture n’est pas toujours fluide ; les événements, fabrications diverses et décisions se succèdent à une vitesse confondante et un peu caricaturale; les dialogue, nombreux dans l’œuvre originale,  montraient une certaine conception de l’éducation et un souci de faire participer davantage les jeunes héros à l’aventure collective : ils manqueront à qui aura lu l’œuvre originale. L’ouvrage fait pourtant 243 pages : ce Robinson fait peut-être partie des œuvres impossible à adapter sans trahir le projet initial – comme l’original de Defoe.

Pour les puristes, les historiens, ou les lecteurs que de gros volumes ne rebutent pas, on peut aussi lire l’œuvre en ligne dans son intégralité, dans une version traduite en français par Frédéric Muller et publiée en 1870, disponible sur la bibliothèque électronique du Québec, Collection À tous les vents, Volume 541 : version 1.0 (merci le Québec!). Pour les autres, cette adaptation offre l’essentiel d’une belle robinsonnade (merci Genève !).

 

 

Sanni & Jonas Une nuit d’hiver
Kalle Hakkola et Mari Ahokoivu
La Pastèque 2017

Rêver un impossible rêve…

Par Michel Driol

Quatre personnages, pour cet ouvrage qui tient de la bande dessinée et de l’album : une fille, Sanni, son frère Jonas, Maman et Papi. C’est l’hiver, quelque part dans le grand Nord (Finlande, sans doute, étant donné l’origine des auteurs). Chronique d’une vie familiale : descente en luge, avant de se préparer à la longue nuit : bain, histoire… Arrivent alors rêves et cauchemars montrant l’imagination des enfants : nounours polaire cherchant du secours pour Linda le dragon, super maman sauvant le monde, métamorphose en papillon… Chacun des rêves se clôt par un « bonne nuit » rassurant et réconfortant.

L’album conjugue la vie ordinaire de cette famille soudée et sans père avec les jeux, les rêves, les rires et les angoisses des enfants. Celle de la mort revient souvent : crainte de la mort du grand-père, qui souffre après avoir pellé la neige, ou dont les ronflements soudain cessent, ou de celle de la mort de la mère, qu’on envisage. Ces craintes sont vues à hauteur d’enfant dans un texte qui sait prendre des aspects philosophiques, avec la métamorphose des papillons qui leur confère plusieurs vies.  Ces craintes n’empêchent pas les rires et la vie de l’emporter.

A la façon des bandes dessinées, le récit avance au rythme des image etdles bulles, qui font entendre la parole des personnages. Des dominantes de couleur sur les fonds, tantôt chaudes, tantôt froides contribuent aussi à recréer l’atmosphère particulière des rêves.

Un beau voyage au pays des songes enfantins.

Paul et Antoinette

Paul et Antoinette
Kerascoët
La Pastèque 2017

Différents comme frère et sœur

Par Michel Driol

Paul et Antoinette sont frères et sœurs, aussi différents que l’on peut l’être. Lui apprécie les jeux calmes, connait le nom des fleurs, aime l’ordre et la propreté. Elle aime vivre à l’extérieur, toucher les animaux, sauter dans les flaques de boue… Et pourtant, ils vivent ensemble, se partagent avec équité les tâches ménagères, et savent se faire plaisir mutuellement, lui en acceptant la promenade, elle en lui préparant une tarte à tout… Et quand vient le soir, ils se racontent leurs journées, à la fois semblables et différentes. Si l’on voit très souvent la chambre de Paul, pleine de maquettes et bateaux, Antoinette est toujours représentée dans les parties communes de la maison ou à l’extérieur, ce qui contribue à poser les deux personnages.

Il est bien sûr question d’amour fraternel dans cet album, mais aussi d’une prise à contrepied des stéréotypes de genre. C’est la fille qui saute dans la boue et joue avec les escargots et autres animaux tandis que le garçon met soigneusement son pyjama et se consacre aux maquettes. Restent des similitudes pourtant, dans la façon de sortir du réel  en jouant au pirate tout en faisant le ménage pour le garçon, ou de voir dans une toile d’araignée une barbe à papa à offrir à son frère pour la fille. Il est aussi question de délicatesse de sentiments, de cadeaux, et du même chemin qu’on peut emprunter côte-à-côte sans y faire exactement la même chose, ou sans y éprouver des plaisirs similaires. On le voit, cet album montre comment accepter l’autre, chercher à lui faire plaisir sans renier sa propre identité.

Cette thématique sérieuse et actuelle est traitée avec beaucoup d’humour : humour des dessins (Paul et Antoinette sont deux petits cochons très humanisés), forte complémentarité entre le texte et les illustrations qui l’explicitent  souvent, expressivité des visages représentés et des situations.

Un album réussi pour parler du vivre ensemble dans la famille… et au-delà.

 

Bouche cousue

Bouche cousue
Marion Muller Collard
Gallimard (scripto), 2016

Passez l’amour homo à la machine : histoire de deux coming out

Par Anne-Marie Mercier

Déjeuner dominical, la narratrice résume la situation : « Ma nièce ne m’aime pas car sa mère ne m’aime pas et son père me méprise. Mais surtout, ma nièce ne m’aime pas car j’ai une connivence flagrante avec son frère ». La famille est un « musée » « qui contraint chacun à rester éternellement celui qu’il a été un jour ».  L’ambiance est tendue et le déjeuner se termine avec une révélation (la nièce dénonce son frère, Tom) et une gifle, donnée par le grand-père à son petit-fils : il a embrassé un garçon.

La suite du roman, après cette entrée en matière décapante qui fait penser à la situation des Lettres de mon petit frère de Chris Donner (premier roman pour enfants évoquant ouvertement l’homosexualité, et roman épistolaire), est une longue lettre écrite à Tom par la narratrice, sa tante.

Elle a passé son enfance dans le lavomatique tenu par ses parents et dans une atmosphère où l’on lave et « plie » la vie des autres sans vivre la sienne. Son grand plaisir était d’emprunter les vêtements de certains clients, notamment ceux d’un couple d’hommes élégants ; une amitié se noue, elle découvre avec eux le rire, la culture et l’insouciance, et au même moment elle participe à un projet scolaire autour de l’opéra de Purcell, Didon et Enée. Elle chante, elle découvre le monde, la musique.

Elle se découvre aussi une passion pour une fille de sa classe. Sa maladresse, sa sincérité et son refus d’écouter les conseils de ses amis – ils savent d’expérience à quoi elle s’expose –, la conduisent à la catastrophe. Sa passion malheureuse est moquée, et l’amène à une scène en tout point similaire à celle que vient de vivre Tom. La honte, la déception et l’échec pèsent lourd face aux moments d’exaltation qui ont précédé, et lui font renoncer jusqu’à ce jour où elle écrit, semble-t-il,à tout espoir de bonheur.

L’histoire tragique d’Amandana, marquée à jamais par le drame de ses seize ans, est accompagnée par l’opéra de Purcell et le « lamento de Didon » (« Remenber me ») qui clôture le récit :

« Souviens-toi de moi. Souviens-toi de moi
Mais oublie mon destin ».

Son destin est pourtant celui qu’elle confie à Tom, et est celui de beaucoup d’autres : elle le raconte avec pudeur et avec émotion pour sortir de l’oubli et libérer la parole de ceux qui ont été contraints comme elle à rester « bouche cousue ».

Ce beau roman porte leur voix. On retrouve ici la veine qui a fait le succès de la collection « scripto » : un beau texte au service d’un sujet fort.

 

 

 

Catalogue des mamies et des papys

Catalogue des mamies et des papys
Lionel Koechlin
Gallimard jeunesse, 2017.

A chacun son papy et sa mamie

Par Hélène Dérouillac

  Chaque double page de cet album brosse des situations mettant en scène grands-parents et petits-enfants. C’est souvent tendre, parfois clonwnesque ou décoiffant. « Grand-papa farine » / « Mamie nourricière », « Mémé marmotte » / « Pépé fausse note »,  « Pépé la main verte/ Mémé langue verte »… les illustrations évoquant la naïveté de dessins d’enfants s’assemblent par paire selon un principe thématique, des associations sonores, ou encore des expressions imagées.

Cette variété est ce qui fait la richesse de l’album. Diversité des appellations (les traditionnels mémé, pépé, grand-mère, etc. voisinent avec des « bon papa » et « bonne maman »  semblant tout droit sortis des romans de la comtesse de Ségur), mais aussi des situations évoquées. Si l’album représente bien sûr des grands-­parents jouant avec les enfants, leur apprenant à jardiner ou à faire du bricolage, les accompagnant avec affection dans la découverte de la vie,  il dépasse avec humour ces situations un peu stéréotypées. Sensible aux mutations sociales de ces dernières décennies, l’auteur met notamment en scène des portraits de femmes intéressants : des grands-mères motardes ou un peu « geek », des femmes encore très actives et ouvertes sur le monde. Intéressant aussi le choix de la première page : un grand-papa farine qui investit avec enthousiasme la cuisine, espace traditionnellement féminin.

Avec tendresse et humour, cet album permet donc de bousculer les stéréotypes de genre. Petit regret cependant : les grands-parents représentés sont tous de type caucasien. Dommage aussi qu’il n’y ait pas à la fin une double page vide (ou deux) pour inviter les enfants à dessiner leur(s) mamie(s) et leur(s) papy(s). Une façon de suggérer que ce type d’inventaire n’est jamais achevé, et qu’il prend une saveur particulière selon chaque famille.

 

Mais que font les parents la nuit ?

Mais que font les parents la nuit ?
Thierry Lenain et Barroux
Little Urban 2017

Une question existentielle

Par Michel Driol

Sofia interroge ses parents et leur demande ce qu’ils font, la nuit, pendant qu’elle dort. Ils lui retournent la question : que crois-tu que nous faisons ? Et voilà l’imagination de Sofia qui se met en route, et elle propose une foule d’actions ou d’attitudes inattendues : regarder des dessins animés toute la nuit, manger des bonbons, s’occuper d’autres enfants… Et, comme Sofia ne manque pas d’imagination, ses propositions sont plus loufoques les unes que les autres, avant qu’elle ne découvre ses parents profondément endormis et qu’elle n’aille les rejoindre, avec son doudou.

Longtemps je me suis couché de bonne heure… On connait ce début proustien de la Recherche, qui correspond aussi à la situation de l’enfant qu’on envoie au lit tandis que la vie continue, une vie dont il est exclu et qui devient le lieu de tous les rêves, de toutes les inquiétudes. Ce thème de la nuit traverse la littérature de jeunesse, comme un écho à cette angoissante question : que se passe-t-il pendant que je dors ? Thierry Lenain la traite avec humour et tendresse, à travers le dialogue savoureux de Sofia et de ses parents. Chacune des propositions de Sofia renvoie à ses propres rêves, à ses désirs, ou à ses craintes qu’elle exprime de façon indirecte : désirs d’une vie de cocagne, sans contraintes, peur des monstres, peur aussi de ne pas répondre aux désirs de ses parents… Tout cela est juste suggéré, et c’est ce qui fait la force de cet album. Les illustrations de Barroux opposent deux univers : celui, vif et coloré, des propositions de Sofia, et un autre, plus sombre, celui de la réalité nocturne de l’appartement, avec ses découpures de lumière et l’ombre gigantesque de Sofia, qui évoque l’atmosphère lourde des films expressionnistes et traduit cette peur de la nuit qui transforme de façon inquiétante le monde familier.

Un bel album sur la vie de famille et les angoisses d’une petite fille unique.