Rouge volcan

Rouge volcan
Eric Battut
L’élan vert  2017

L’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini…

Par Michel Driol

Au milieu de l‘océan, un volcan se réveille et fait naitre une ile. Deux petits personnages, des vulcanologues, s’en approchent, en commencent l’ascension au milieu des laves, malgré les gaz toxiques. Ils effectuent leurs mesures et atteignent le sommet. Face à la montagne en furie, il faut redescendre, vite et repartir dans une mer rouge volcan. La dernière illustration envoie à la première, mais la dominante blanche est devenue une dominante rouge…

Étrange album, qui tient tout à la fois de la poésie, de la science et de la philosophie. Poésie du texte, qui parle d’apogée, de montagne en furie, de colère de la montagne. Poésie de l’illustration, qui ne recherche pas le réalisme, mais, utilisant des papiers découpés, rend compte de la puissance tellurique des éléments et leur confronte la petitesse des deux hommes. Discours scientifique aussi, qui convoque des termes précis, comme mesures, densité, qui emploie les termes techniques, magma, bombes volcaniques, mission à accomplir. Le tout est au service d’une approche philosophique : qu’est-ce que l’homme dans une nature qui peut se réveiller et se révéler dangereuse, mortelle, inhospitalière ? Un être fragile, un petit rien, menacé, impuissant. Pourtant, il lui faut continuer à aller calmement, presque paisiblement, à l’ « extrême limite » du monde, de soi et du savoir, non pas pour la  gloire, ni pour dominer la nature, mais pour la connaitre.

Un album en aller-retour, qui pose la question de la connaissance scientifique, de la place de l’homme dans l’univers, de l’esprit de géométrie, rationnel, et de l’esprit de finesse, qui joue sur l’émotion. Un album pascalien…

Le Facteur de l’espace


Le Facteur de l’espace
Guillaume Perreault

La Pastèque, 2016

Vive la poste et les postiers !

Par Anne-Marie Mercier

Cet album, entre roman graphique et BD, est un jalon dans l’histoire de la littérature de jeunesse en France : il a été le premier de son genre à recevoir un prix au Salon de Montreuil. De fait, le livre est si riche qu’il aurait pu recevoir plusieurs « pépites » d’un coup.

Bob, facteur « spatial », fait sa tournée régulière et y a pris ses habitudes. Un jour, on lui donne un autre circuit à faire et il ronchonne tout au long de cette journée, jusqu’à la fin, où son regard change. La pire journée de sa vie devient celle où il reprend un regard neuf sur les choses: il y a donc un zeste de philo dans cette petit e histoire.
Il salue ses amis les robots, son patron le poulpe, mange, et voyage dans un univers totalement futuriste mais aussi délicieusement daté, dans  un style de SF retro et humoristique. Ce voyage de planète en planète évoque celui du Petit Prince et justement c’est lui l’un des nouveaux clients de Bob, qui comme les autres a quelque chose à lui demander ou une épreuve à lui faire subir (dessiner un mouton, encore et encore, par exemple…).De la planète où il pleut à celle peuplée de chiens hurlants, il livre des objets divers : un parapluie, une théière, une lettre, un voyageur…

Tout cela donne peu à peu à ce facteur une grande humanité tout en faisant un beau portrait de ce métier qui relie véritablement les hommes. C’est drôle, surprenant, rythmé, et tendre.

 

Confucius. Toute une vie

Confucius. Toute une vie
Chun-Liang-Yeh, Clémence Pollet
HongFei, 2018

Vie d’un philosophe, philosophie de la vie

Par Anne-Marie Mercier

Comme le titre l’indique, c’est bien la vie du sage chinois qui nous est racontée, déroulée de sa naissance à sa mort et fixée dans une chronologie à la fois chinoise (l’époque qui précède celle des Royaumes combattants) et mondiale (on apprend en fin de volume qu’il est né peu après Siddhârta (Bouddha), et mort peu avant la naissance de Socrate. Mais bien entendu, cette vie est aussi un parcours de la pensée : plusieurs épisodes montrent Confucius faisant des choix, répondant à des questions, évoluant. On est très loin d’une volonté d’héroïser ou de sublimer la vie du philosophe ; il est présenté comme un homme ordinaire, agissant, réfléchissant, lisant, conversant avec ses semblables.
L’histoire est portée par les belles images de Clémence Pollet, de type sérigraphique en quatre tons, très lumineuses. Elles inscrivent ce parcours dans la nature et insistent sur son aspect itinérant et son inscription dans le contact avec ses semblables (une quadruple page centrale montre un village bordé par une rivière où chacun vaque à ses occupations, contemple, passe…).
Les dernières pages proposent un texte faisant le point sur le personnage de Confucius et sa pensée aujourd’hui, son rapport à la tradition, à la liberté, à l’égalité, à la fraternité, à la sagesse et à la religion. C’est bref et clair et cela a aussi le mérite de souligner les différences de mentalité entre les cultures chinoises et françaises pour indiquer qu’il faut aller un peu plus loin si l’on veut vraiment comprendre. C’est une initiation ; elle se présente comme telle.
Pour la découvrir en musique...

Pablo de la Courneuve

Pablo de la Courneuve
Cécile Roumiguière
Seuil 2017 (1ère édition 2008)

Les désarrois de l’élève Pablo

Par Michel Driol

Pablo et sa famille ont quitté la Colombie où ils étaient menacés pour arriver à la Courneuve. Il se sent seul et perdu. Bagarres à l’école sur fond de racisme. Relations qui se tendent avec sa sœur qui renie de plus en plus son pays. Deux rencontres vont bouleverser sa vie : celle d’une vieille femme, ancienne artiste, qui fait peur à tout le monde, et celle d’un cycliste, agent municipal, qui va aider la famille. Dès lors Pablo découvre qu’il est possible d’être heureux, malgré l’exil, et les séparations.

Le roman se situe sur les entre-deux, posant  Pablo entre deux cultures, celle d’un pays coloré et joyeux et celle d’une ville grise, sur l’intergénérationnel avec la rencontre avec Rosa la Goule, sur la fraternité possible si l’on accepte de tendre la main. Rien de misérabiliste, mais au contraire une belle leçon d’espoir qui ne cherche pas à passer à côté des difficultés. On sera sensible à la belle galerie de portraits formés par les personnages, au rythme du récit, qui révèle progressivement les raisons du départ, aux entrelacs des souvenirs et du présent.

Voilà une réédition bienvenue, qui parle des sans-papiers, de l’adaptation difficile des enfants, des barrières linguistiques et culturelles, des peurs et des fiertés.

Cabanes

Cabanes
Aurélien Débat
(Les Grandes personnes)

Les 15 petits cochons

Par Anne-Marie Mercier

L’histoire des trois petits cochons est célèbre, mais un peu courte : paille, bois, brique sont certes des matériaux de base, mais on aurait pu en trouver bien d’autres… Aurélien Débat imagine quinze configurations différentes avec de nouveaux matériaux : feuilles, rochers, blocs de glace.

Munis de ces « formes simples » qui sont autant de motifs qui se répartissent différemment sur chaque double page à fond blanc, les petits cochons font des choix divers : construire léger ou construire en dur ; faire un mur ou un pont ; construire pour soi seul ou à deux, pour jouer ou expérimenter, en hauteur ou en beauté… et le loup arrive ! que se passera-t-il ?

Ce jeu se joue à plusieurs niveaux. Il y a d’abord le jeu de l’histoire et de sa chute, celui des listes, des contraires ou des complémentaires. Et puis il y a un vrai jeu de construction, proposé en fin d’album par une planche de stickers à découper qui donne les éléments de bâti en plusieurs exemplaires et qui permet soit de reproduire les maisons des cochons, soit d’inventer à l’infini.

Cabanes a été offert à tous les enfants de la Nanterre pour Noël 2017.

Même les princesses doivent aller à l’école

Même les princesses doivent aller à l’école
Susie Morgenstern (texte et lecture) Sylvain Kassap (musique)
L’Ecole des loisirs (chut !)

Tout le monde à l’école, avec l’accent, et en musique !

Par Anne-Marie Mercier

Il n’y pas que les vampires qui aspirent à aller à l’école (voir la BD de J. Sfar) ! Le savoureux livre de Susie Morgenstern est lu par l’auteure (qui a encore plus d’accent américain que lors de ses interviews), et accompagné de soulignements musicaux. La caricature de la famille de la princesse (le père, Georges CXIV, déteste tout ce qui a un rapport à la République et la reine Fortuna ne met pas le nez dehors), la peinture de leur milieu de vie avant la vente de leur château médiéval et leur installation dans une tour moderne, l’habillement et les distractions de leur fille Alyestère, la princesse à qui on répète sans cesse de ne pas oublier qu’elle est « une princesse », sont très drôles.
Le désarroi de la princesse, son envie d’aller à l’école, de porter des tennis et d’être comme tout le monde sont une jolie leçon pour les petites filles qui de leur côté rêvent d’être des princesses sans penser à l’inconfort des vêtements avec lesquelles on ne peut pas courir, à la nécessité de paraître… Enfin, la jolie formule selon laquelle « toutes les petites filles sont les princesses » de leur papa devrait les satisfaire.

 

Mon cher Victor Hugo

Mon cher Victor Hugo
Chantal Brière
Bulles de savon, 2016

Ecrire à Victor Hugo…

Par Christine Moulin

Les éditions Bulle de savon ont conçu une collection originale : il s’agit pour l’auteur d' »écrire une lettre à l’une des icônes de la littérature, de la peinture, de la musique, voir ce que ce personnage nous dit aujourd’hui, le mettre en scène dans des petites fictions et l’imaginer revivre d’un coup » (1). A la lecture de cet extrait de la quatrième de couverture, on pressent la complexité de l’objet que va faire naître une telle feuille de route.
Spécialiste émérite de Victor Hugo, Chantal Brière a relevé le défi. Elle nous donne ainsi à lire un livre passionnant, dense, qui fournit toutes sortes d’informations sur Victor Hugo et évite les écueils habituels : par exemple, elle ne colporte pas les erreurs mille fois répétées sur le fameux « Chateaubriand ou rien », elle ne fait pas de l’opposition à Napoléon III une hostilité personnelle due à une quelconque déception de n’avoir pas été nommé ministre, etc. Bref, cet ouvrage est riche et fiable.

Mais riche, il l’est sans doute, à cause du format même de la collection, un peu trop. Complexe, ce livre me semble compliqué pour un jeune public, auquel il est censé s’adresser. Sur le plan matériel, les diverses couleurs de pages peuvent certes servir de repères mais cela suffit-il à distinguer toutes les formes énonciatives qui se succèdent? Les pages blanches sont dévolues à la « lettre » que Chantal Brière est censée écrire à Victor Hugo. Mais cette lettre est interrompue par des citations hors contexte, écrites en gros caractères, et elle paraît parfois un peu artificielle, puisque l’auteur est obligée de rappeler à Hugo des éléments qu’il ne peut avoir oubliés ; au hasard: « Tout près habite une petite fille qui vient de temps à autre s’amuser avec vous dans les herbes folles » (p. 9) [Il s’agit d’Adèle, bien sûr, qui deviendra Madame Hugo] ou bien: « Léopoldine, Charles, François-Victor et Adèle, ce sont vos quatre enfants » (p. 63). Les pages jaunes laissent place à des récits dont Chantal Brière est la narratrice, récits mettant en scène Victor Hugo. Mais alors pourquoi les pages bleues et roses ont-elles la même fonction? Ces codes fluctuants ne sont pas éclairés par les jeux typographiques: certaines phrases sont écrites en gros caractères et en gras. Pourquoi?
A ces changements énonciatifs viennent s’ajouter des « pirouettes » chronologiques peu propices à la compréhension : juste après l’évocation de l’enfance de Hugo, par exemple, nous voilà propulsés en 1855, à Jersey. Cela se justifie puisque Hugo écrit alors le poème « Pepita » (sans que, d’ailleurs, la référence exacte en soit donnée: « Pepita » est un poème écrit en 1855, mais publié en 1877, dans L’art d’être grand-père…), poème lié à son voyage en Espagne de 1811. Pour des lecteurs qui ne sauraient pas pourquoi Hugo se retrouve à Jersey ni pourquoi l’Espagne est si importante pour comprendre son oeuvre, le détour est sans doute un peu rude. Ces allers et retours sont constants dans l’ouvrage, ce qui soutient l’intérêt, certes, mais ne favorise pas la mémorisation de la chronologie.
Enfin, encore une fois à cause du format de la collection, les informations sont toujours denses et souvent allusives.

Bref, pour un adulte qui connaît la vie et l’oeuvre de Victor Hugo, cet ouvrage est intéressant et plaisant, d’autant que Chantal Brière a une plume particulièrement élégante, qui semble avoir été influencée par son objet.
Mais pour les destinataires de l’ouvrage, la lecture est sans doute difficile. Par ailleurs, on regrette qu’il n’y ait ni références ni bibliographie: si cet ouvrage doit servir à bâtir un exposé, par exemple, c’est une lacune regrettable.

(1) Avant Victor Hugo, ont été mis à l’honneur Voltaire, Van Gogh et Mozart.

 

Petit Vampire, acte 1 : le serment des pirates

Petit Vampire, acte 1 : le serment des pirates
Joann Sfar
Rue de Sèvres, 2017

Les enfances d’un vampire

Par Anne-Marie Mercier

Même si les vampires ne vieillissent pas, ils ont une histoire. Et même si les séries ont des « saisons », elles peuvent être rétroactives.  On découvre ici comment le héros auquel Joann Sfar a consacré 7 albums (de 1999 à 2005) publiés chez Delcourt, est devenu, en même temps que sa mère, un « mort-vivant ». Sfar reprend donc l’intrigue du délicieux  Petit Vampire va à l’école en la modifiant un peu et en anticipant sur son début.
On retrouve la fantaisie de l’univers de la série : monstres en tous genres, en général sympathiques, ennemi terrifiant,  dessins qui ignorent la ligne droite et créent de belles atmosphères aux couleurs évocatrices. Les séances de ciné-club  (consacrées à des films de monstres) sont parfaites… L’album offre un beau contrepoint entre le héros et le « vrai » petit garçon, Michel, et présente une belle histoire d’amitié entre deux êtres qui ne sont pas du même monde, et n’ont pas les mêmes rythmes – et en devraient pas se rencontrer.

La haine qu’on donne

The hate u give, la haine qu’on donne
Angie Thomas
Nathan, 2018

Comment réconcilier les communautés américaines noires et blanches ?
Par Maryse Vuillermet

Annoncé comme une révolution dans la littérature « un texte coup de poing, un auteur qui bouscule l’Amérique » ce roman déçoit forcément un peu.
C’est l’histoire de Starr, une jeune noire américaine de seize ans, qui vit dans un ghetto et va au lycée dans un quartier riche et blanc, parce que ses parents veulent lui donner une chance de faire de bonnes études et d’avoir un bon métier.
Elle est donc écartelée entre deux mondes, le monde des gangs, de la drogue, de la violence mais aussi de l’amitié, de la tendresse familiale, de l’entraide de quartier et celui des Blancs, riches, celui de son petit ami Chris qui l’aime passionnément et veut la comprendre mais ne la connait pas.
Elle jongle habilement avec ses deux identités, mais un événement va accélérer sa prise de conscience et l’obliger à unifier les facettes de sa personnalité. Son ami d’enfance Khalil est tué sous ses yeux par un policier blanc qui lui tire trois balles dans le dos. Elle est le seul témoin de ce crime, elle décide d’abord de se taire pour obéir à la loi du silence et se protéger des gangs tout puissants et aussi pour ne pas compromettre sa réputation de bonne élève au lycée.  En effet, Khalil a été décrit par les médias comme un dealer dangereux.  Son silence arrange la police qui cherche elle aussi à étouffer l’affaire.
Mais Starr aidée par certains, combattue par d’autres,  va apprendre à surmonter son deuil, sa colère, sa honte, à faire la part des choses, à rapprocher les deux communautés et surtout à dire la vérité.
C’est donc un roman vivant,  cash, comme disent les jeunes, riche de très nombreuses références à la culture black, musiques, raps, clips, modes vestimentaires, coiffures affro, codes sociaux, mais c’est loin d’être le chef d’œuvre annoncé, par exemple d’interminables parties de basket ou d’interminables soirées télé-pizza, certes, campent une Amérique d’aujourd’hui,  mais ralentissent le rythme et sont d’une banalité à pleurer.

Mon Cher Voltaire

Mon Cher Voltaire
Jean René

Bulles de savon (« Mon cher… »), 2015

 

Les éditions Bulles de savon se sont fait une spécialité de l’exploration de la vie de créateurs, avec la collection « qui êtes-vous » ?, avec des romans biographiques (Moi, Stevenson, de Jean René lui aussi) et avec la collection dans laquelle s’inscrit cet ouvrage.

Le parti pris de la lettre, certes artificiel, a cependant le mérite d’impliquer le lecteur qui, avec le narrateur, s’adresse ainsi à l’auteur, recherche une proximité, est en connivence avec lui (voir Lettre à l’écrivain qui a changé ma vie). Chaque « lettre » présente un aspect de la vie de Voltaire, qui coïncide souvent avec une période de sa vie. Présentées sur fond blanc, en caractères à empâtements (du Didot ?), ces lettres alternent avec des chapitres imprimés sur papiers de couleur en typographie plus simple (proche du type Arial) dans lesquels on voit Voltaire agir, parler, écrire, se promener, manger, écrire…
Ses œuvres sont évoquées surtout par la notoriété qu’elles lui donnent ; les contes seuls sont un peu détaillés, uniquement par le sujet et peu par la forme. Le but de l’ouvrage étant de dire un peu de tout, le reste de l’œuvre fait l’objet d’allusions, de courts dialogues, d’extraits de lettres (la correspondance est très présente, ce qui est une bonne chose). Le corps est au centre du récit, avec les maladies réelles ou feintes, l’alimentation, la recherche de confort. L’accent est également mis sur les conditions matérielles de l’exercice d’une pensée et d’une expression libre et sur la recherche par Voltaire d’une indépendance financière indispensable.
Enfin, l’image de l’écrivain engagé domine, avec un développement sur l’affaire Calas et sur celle du chevalier de La Barre ; un accent particulier est mis sur les incarcérations de Voltaire à la Bastille, son exil, les dangers qu’il court et les précautions qu’il prend pour publier ses œuvres. L’ensemble est donc assez complet, d’une lecture facile et stimulante.