Le Phare aux oiseaux

Le Phare aux oiseaux
Michael Morpurgo, Benji Davis (ill.)
Gallimard jeunesse, 2021

Grand petit roman

Par Anne-Marie Mercier

Le Phare aux oiseaux est un vrai roman, avec des personnages forts et tourmentés, du suspens, des rebondissements, des actes héroïques, des voyages, des naufrages, des retrouvailles. Comme dans beaucoup de romans de Morpurgo il se passe pendant la guerre à laquelle le héros devenu grand, doit participer, sans enthousiasme. Il en revient plein de tristesse : nombre de ses amis sont morts et tout cela semble être vain (« je ne suis pas sûr qu’on gagne jamais une guerre, dit-il »).
Mais c’est surtout un beau roman d’initiation qui montre le parcours d’un jeune garçon et son amitié pour un vieux gardien de phare illettré. Dans son enfance, le jeune garçon et sa mère ont été sauvés d’un naufrage par cet homme; il tente de le retrouver, puis de se faire accepter par ce solitaire bourru qui ne trouve de joie que dans le dessin et la compagnie des oiseaux. Il y parvient en partageant les passions de son ami,  le dessin et le soin d’un macareux blessé.
Le livre est plein de ressorts captivants pour les jeunes lecteurs (et pour les autres) : des histoires de destins croisés, la vie d’un enfant orphelin de père, proche du Petit Lord, un élève pensionnaire malheureux, un soldat désabusé, puis un jeune homme sûr de lui et de sa place dans le monde.
Les aquarelles de Benji Davis sont magnifiques, tantôt rugueuses, tantôt suaves, et rythment le récit tantôt en vignettes, tantôt en pleine page ou même en double page à fond perdu, nous plongeant dans un univers de vent et de fraicheur.
Cet album a été écrit à la mémoire de Allen Lane, le fondateur des éditions Penguin, et des collections Pelican (pour les essais) et Puffin (alias macareux) pour les enfants.

 

La Guerre ce n’est  pas pour moi !

La Guerre ce n’est  pas pour moi !
Eric Battut
Rue du monde 2021

La paix est un oiseau si fragile

Par Michel Driol

A douze ans, un jeune africain, Baki n’a connu qu’un pays de ravagé par une guerre civile. Le jour de son anniversaire, il est enrôlé de force par des soldats. Après un entrainement, il participe à un combat qui se solde par une défaite, sans tirer un seul coup de feu. Il parvient à s’enfuir, rejoint une colonne de réfugiés, est hébergé dans un camp de l’ONU où il apprend à lire et à compter. A 25 ans, devenu maitre d’école dans son école, il tremble toujours pour ses élèves lorsqu’il entend des bruits de moteur.

Baki-le-roi-du ballon, Baki-l’enfant-soldat, Baki-l’enfant-qui-court-plus-vite-qu’une-balle, Baki-le-maitre-d’école, à travers ces quatre dénominations se lit la question de l’identité personnelle et sociale de Baki le narrateur. Celui-ci est une victime qui s’interroge sans cesse et qui assiste, impuissant, aux évènements : l’entrainement, la longue marche, l’arme plus lourde que lui, le combat, l’attaque de l’aviation, avant de pouvoir s’enfuir, décidant que la guerre, ce n’est pas pour lui. Le récit relate des faits, avec une certaine froideur et objectivité. Jamais Baki n’évoque sa peur, ses propres sentiments, comme s’il lui était interdit d’en avoir, laissant du coup le lecteur libre d’éprouver ses propres émotions devant cet enfant-soldat. Devenu adulte, c’est là qu’il évoque, avec altruisme, ses propres sentiments de crainte pour ses propres élèves. Les illustrations sont extrêmement expressives, reprenant la plupart des codes utilisés par les enfants pour évoquer la guerre, les conflits, les explosions et les bombes. Le tout dans des couleurs elles-mêmes explosives, l’orange et le rouge, façon de dire la tension, bien loin des pages de garde bleues et du vêtement, immanquablement bleu, de Baki, véritable héros symbole de paix, qui a préféré le savoir aux armes.

Un album positif, à la fin heureuse, qui est un vrai plaidoyer pour la paix. Un livre malheureusement actuel et indispensable.

La Grande Guerre d’Emilien

La Grande Guerre d’Emilien
Georges Bruyer (gravures, dessins) – Béatrice Egémar (texte)
L’élan vert – Pont des Arts- 2021

Carnet de poilu

Par Michel Driol

Ce sont les lettres d’un poilu, entre aout 1914 et février 1915. Il tenait une auberge, où il a laissé Madeleine, sa femme enceinte de leur deuxième enfant. Il espère bien sûr revenir vite, mais, on le sait, le conflit dure. Il évoque la bataille de la Marne, les tranchées, les gestes quotidiens, comme le portage de la soupe, la nourriture, le Noël dans les tranchées, les dangers, les morts. Blessé, il est évacué dans un hôpital à l’arrière, attend une permission pour sa convalescence, ce qui lui permettra de voir enfin sa fille, et peut-être, d’être réformé pour blessure. C’est sur cet espoir que se termine la dernière lettre.

L’ouvrage se présente sous la forme d’un carnet, et associe des lettres fictives à des croquis, esquisses, dessins, peintures de Georges Bruyer. Plusieurs pages documentaires en fin d’album en disent plus sur cet artiste du XXème siècle, son engagement dans la première guerre mondiale, et son parcours artistique et humain après la guerre. Ses œuvres, reproduites dans l’album, sont autant de témoignages pris sur le vif de la vie quotidienne des soldats : marches, cuisine, portage des gamelles de soupe, attentes, installation, blessures, mais aussi scènes de combat. Noirs et blancs très expressionnistes, mais aussi œuvres colorés dans une palette aux teintes froides pour dire un monde inhumain.

Les lettres écrites par Béatrice Egémar posent au contraire un homme plein d’humanité, se souciant de sa femme enceinte, de ses conditions de vie, de ses hommes (dont le petit Leblond, âgé d’à peine 20 ans, qui peine à écrire à sa fiancée). Il évoque la guerre, ses horreurs à demi-mot, dans un perspective pacifiste. Il est patriote, mais souhaite que son fils ne connaisse pas de guerre, il évoque les propos de son instituteur, dont il se souvient, relatifs au devoir et à la patrie. Ces textes tracent donc le portrait poignant d’un homme, pris entre devoir et fraternité, comprenant qu’en face les Allemands ne sont pas différents d’eux, et aspirent aussi à la paix, ce qu’on voit dans l’épisode de Noël, où les deux tranchées entonnent des cantiques dans deux langues différentes.

Ce récit épistolaire qui est le fruit d’une collaboration entre l’éditeur, l’Elan vert, et le Musée de la Grande guerre, et qui donne à mieux comprendre l’horreur de la guerre, tout en rendant hommage à un peintre méconnu, saura toucher profondément ses lectrices et ses lecteurs.

L’Histoire d’Erika

L’Histoire d’Erika
Ruth Vander Zee Ill. Roberto Innocenti
D’eux, 2017

Ils étaient vingt et cent…

Par Michel Driol

Les éditions D’eux ont eu la bonne idée de rééditer, avec une nouvelle traduction de Christiane Duchesne, l’album qui était paru sous le titre L’Etoile d’Erika. Dans un récit enchâssé, une femme raconte comment elle a été sauvée parce que sa mère l’a jetée d’un train en route vers un camp de la mort durant la seconde guerre mondiale, et que quelqu’un l’a recueillie et lui a permis, à son tour, de fonder une famille.

Deux narratrices se succèdent dans l’histoire : la première raconte les circonstances dans lesquelles elle a rencontré Erika, puis c’est Erika qui raconte sa propre histoire, imaginant ce qu’ont pu ressentir et vivre ses parents dont elle n’a aucun souvenir, dont elle ne connait pas le nom, avant de prendre la décision de la jeter hors du train. Ce récit, tout en sobriété, est particulièrement émouvant dans la façon dont Erika tente de redonner vie à ses propres parents. Il y est donc question de résilience, mais aussi d’entraide et d’espoir dans la poursuite de la vie, à travers ses trois enfants.

Les illustrations de Roberto Innocenti encadrent aussi le récit par deux planches en couleur, la première évoquant la tempête initiale qui permet la rencontre avec Erika, la dernière montrant une fillette regardant passer un train de marchandises. Entre les deux, des illustrations en bistre montrent le convoi, depuis la gare de départ jusqu’à l’arrivée dans un camp. Illustrations à la fois pudiques, car se refusant à montrant l’immontrable, mais aussi fortement symboliques et poignantes (on songe à ces deux plans montrant le berceau abandonné sur le quai de la gare)

Un ouvrage pour ne pas oublier ce que fut l’holocauste, un ouvrage aussi sur la façon dont les survivants ont pu se reconstruire grâce à l’amour et à l’entraide.

Dans le cœur

Dans le cœur
Nada Matta
Editions MeMo 2021

A tous les enfants de la guerre

Par Michel Driol

La narratrice a six ans lorsqu’éclate la guerre au Liban. Sa famille se réfugie dans une grande maison qui abrite aussi de nombreux enfants. La tante raconte des histoires, on dort dans un dortoir,  on subit les multiples privations, d’eau, de gaz, d’électricité… On rêve et parfois on va à la mer se baigner. Vingt ans plus tard, la fillette qui a grandi découvre enfin l’autre côté de la ville.

C’est en fait une histoire double que raconte ce bel album de Nada Matta, artiste et autrice jeunesse franco-libanaise. D’une part, il y a la fillette dont on a résumé l’histoire qui occupe la plus grande part de l’album, illustré. D’autre part, il y a une autre fillette, qui raconte aussi en « je » son histoire, sur une page. Orpheline, elle est recueillie par une dame au grand cœur solide, dans une grande maison. Enfin, il y a les mots de l’autrice, qui explique le lien autobiographique entre elle et l’autre fillette, sa sœur de cœur. Ce qui se lit donc dans cet album, c’est l’histoire de cette amitié, et aussi, de façon très explicite, l’hommage à la tante, Janine Safa, qui a permis à de nombreux enfants de traverser la guerre du Liban, de continuer à vivre et à aimer.

A partir de son expérience très forte et très personnelle, Nada Matta signe ici un album dont l’écriture et les illustrations sont particulièrement soignées. Le texte au présent évite tout pathos : il est surtout constitué de notations, de constats liés aux activités que l’on fait quand il n’y a plus d’école, aux sensations comme la couverture qui gratte ou le froid, aux peurs et aux réactions presque animales (se rouler en boule pour n’être qu’un point). Ce texte permet donc au lecteur d’être au plus près du vécu de la fillette, de s’identifier à elle. Il sait aussi user des répétitions et des anaphores pour rendre encore plus sensibles certains termes et donc certaines réalités, le cœur de la maison qui protège, les « parfois » qui rythment le temps, ou les « Comme il n’y a plus… » qui marquent les absences, les privations, les difficultés de la vie matérielle.

Les illustrations sont de véritables tableaux qui tantôt partent dans l’abstrait (les couleurs de la fête qui font écho à la guerre qui éclate, composition verticale de coulées qui semblent exploser au sol), tantôt au contraire sont très réalistes, comme les nombreux portraits d’enfants ou d’adultes, traités avec une grande humanité. Ces tableaux utilisent aussi toute une riche palette de nuances : des grisailles rehaussées de quelques taches de couleur pour le temps de la guerre, taches de couleur qui explosent en jaune vif  lorsque le texte évoque l’éclairage à la bougie. Le tout se clôt se un magnifique portrait de fillette souriante dont les larmes bleues s’envolent vers le ciel : tout un symbole de cet album à la fois sombre et lumineux, qui parle d’espoir et de la nécessité de sauver tous les enfants de toutes les guerres.

Un album sensible, riche, émouvant et porteur d’espoir, un album pour dire ce que les survivants doivent à celles et à ceux qui ont su leur transmettre les valeurs et l’amour qui leur ont permis de rester vivants, et debout.

Furio !

Furio !
Gilles Baum – Illustrations Chiara Armellini
Les Editions des Eléphants  – 2019

Ecoutez la ballade de la désescalade

Par Michel Driol

Deux rois s’observent, du haut de la plus haute tour de leur château. A la grimace que fait l’un, l’autre répond en baissant sa culotte, ce qui déclenche, bien sûr, la guerre. Et machines infernales d’entrer en action, suivies des lanciers, des archers, des fantassins, des enfants. Mais aucun vainqueur ne se dessine ! On oppose alors les marmitons aux troubadours. Les deux rois ne peuvent que constater que leur château s’est vidé. Ne reste plus qu’à opposer le tisserand et le brodeur pour raconter cette guerre… jusqu’au moment où le tisserand se pique ! Arrêt des hostilités au premier sang. La paix revient, mais les deux rois, sur leurs tours, continuent à se narguer. Par habitude.

 Le dispositif graphique se répète : chacun des rois campe sur sa page. C’est donc le règne de la symétrie agrémentée de subtiles variations. Les deux châteaux évoquent autant les jeux de construction en bois – par leurs formes, leurs couleurs – qu’un orient stéréotypé. Les costumes des deux rois et des fantassins semblent sortis de la tapisserie de Bayeux, revisitée. Les catapultes côtoient les parapluies, les valises à roulette et les rings de boxe. Autant de façon de dire l’universalité du propos. L’album recourt à un traitement burlesque pour aborder ce sujet grave de la guerre et de la paix : aux projectiles des machines de guerre répondent des golfeurs, des pongistes, des chasseurs de papillons… Les enfants ne font la guerre… que jusqu’à l’heure du gouter ! Et quant aux fantassins, c’est au tir à la corde qu’ils combattent ! Ce traitement comique qui vise à dédramatiser les choses semble renvoyer la guerre à un jeu, à infantiliser les deux monarques. C’est sans doute là que se situe le plus important des messages de l’album – soutenu par Amnesty International. La critique des causes de la guerre fait penser à celle de toute une littérature depuis Rabelais. Un élément mineur déclenche une série d’escalades, s’envenime sans que rien ni personne ne parvienne à le maitriser. Le comportement des puissants montre leur superficialité et leur irresponsabilité.  Bien sûr, il faut garder trace du conflit, en montrer les moindres détails. Sur fond de tapisserie de Bayeux, on a comme un lointain écho à l’art de magnifier les batailles – qu’il s’agisse de littérature ou de peinture.

Le texte, écrit au présent, sait se faire à la fois accessible à tous et jouer avec les mots, les exclamations pour adopter le ton du commentateur – qu’il s’agisse de commentaire sportif ou propagandiste – et dénoncer l’absurdité de la guerre.

Ah ! Dieu ! que la guerre est jolie ! quand elle n’est qu’un jeu sur un album. Mais gageons que cet album conduira ses lecteurs à réfléchir aux conflits, fussent-ils ceux d’une cour de récréation.

 

 

ethel & ernest

ethel & ernest
Raymond Briggs
Grasset jeunesse, 2019

 

« Le tourbillon de la vie »

Par Anne-Marie Mercier

Éthel et Ernest sont d’abord un couple d’amoureux touchant. Elle est femme de chambre, lui livreur de lait ; ils se rencontrent avant la deuxième guerre mondiale (plus précisément, en 1928 – le livre donne régulièrement des dates précises) ; ils se marient, achètent une petite maison en brique avec un jardinet. Ils ont un enfant, Raymond, l’auteur de cette BD, qui livre ici à travers le portrait de ses parents une autobiographie indirecte.
Éthel et Ernest écoutent la BBC (on est en Angleterre), ils s’inquiètent de l’attitude de l’Allemagne, et illustrent la vie quotidienne des Anglais pendant la deuxième guerre mondiale : ils voient leur fils partir à la campagne pour éviter les bombardements, leur maison est touchée par une bombe ; Ernest construit des abris anti-aériens dans le jardin, il devient pompier pour aider les victimes, tous deux sont effarés par l’annonce de l’explosion de la bombe d’Hiroshima.

Ils se disputent un peu à propos de politique (lui est travailliste, elle aime bien Monsieur Churchill), et à propos des évolutions de la modernité (lui croit au progrès et s’enthousiasme pour les changements, elle a des doutes : une page très drôle montre leur dialogue sur la mode de la mini-jupe, une autre sur le premier homme sur la lune, ou sur le téléphone, la légalisation de l’homosexualité). Une machine à laver entre dans leur maisonnette, puis une télévision ; Raymond achète une voiture, Éthel obtient un emploi dans un bureau, son rêve ultime. Ils meurent la même année, en 1971, au moment où l’Angleterre adopte le système décimal.

Le regard porté sur le couple est celui, tendre et parfois agacé, de leur fils. Sa propre vie est esquissée pour montrer le caractère de ses parents, notamment de sa mère, fière de voir son fils faire des études, déçue qu’il ne soit pas officier quand il fait son service militaire – et la guerre de Corée. Elle s’inquiète , comme Ernest, lorsqu’il s’oriente vers des études d’art qui n’amènent pas selon eux à un vrai métier ; il sont rassurés quand il devient professeur (un métier « plus normal »). Elle a toute la dignité d’une femme du peuple qui refuse la vulgarité et le laisser-aller (elle reprend Raymond sur son langage, ne s’habitue pas aux cheveux longs de son fils, ni à sa camionnette) et se préoccupe du regard des voisins. Elle a toute la rigidité qui va avec cette posture, parfois insuportable. Mais malgré ce qu’on devine des tensions entre son fils et elle, le regard porté sur elle comme sur son mari reste tendre et amusé, parfois pathétique au moment de sa mort et de celle d’Ernest, qui la suit de près.

On retrouve l’art de l’auteur du merveilleux Bonhomme de neige, de Lili et l’ours, ou de Sacré Père Noël. Le récit fait alterner de petites vignettes carrées et d’autres plus grandes, ou des pleines pages, présentant tantôt une adhésion au monde, un élan, tantôt un retrait, une absence, ou un enfermement. Presque partout, les dialogues dominent (dans le cas contraire, cela fait sens) et les paroles débordent des cadres. Le dessin et les couleurs, globalement réalistes, s’affranchissent de cette esthétique dans certaines scènes, au profit de l’émotion.
ethel & ernest est à la fois une réflexion sur l’époque (1928-1971), sur la manière d’affronter les épreuves et de vivre les changements, mais surtout une belle et admirable histoire d’amour, aussi bien l’amour qui unit le couple que celui que l’auteur a pour ses parents. La réédition de ce texte, paru en langue anglaise en 1998, est une belle initiative des éditions Grasset qui republient par ailleurs de nombreux classiques. Un film d’animation en a été tiré, réalisé par Roger Mainwood et sorti en 2016.

Les Funambules

Les Funambules
Corinne Boutry –Daria Petrilli
Motus 2019

Par-delà le mur…

Par Michel Driol

Swan et Mia habitent dans deux tours. Un matin, un mur se dresse entre leurs deux tours. Alors Swan écrit une lettre en forme d’oiseau qui parvient à passer de l’autre côté, et Mia lui répond. Les deux enfants s’envolent et se retrouvent aux antipodes.  Mais ce n’était qu’un rêve.  Swan une poignée de sable qui dessine un pont par-dessus les barbelés. Et comme deux funambules les deux enfants se lancent sur le pont.

Dans cet album poétique, les deux auteures abordent le thème des murs qui surgissent et séparent, de façon inexplicable, et inexpliquée. Un album tout en finesse, qui montre d’abord la rencontre du regard des deux enfants, l’un contemplant les passants, l’autre le ciel… comme s’il suffisait de changer un peu le point de vue pour se rencontrer. Mais comment relier ce que les hommes, sans aucune raison, ont séparé  pour toujours ? Par le pouvoir des mots, des rêves, de l’imaginaire, en faisant confiance à l’enfance pour transfigurer la réalité.  Un album qui dit l’espoir d’un monde meilleur, où  ceux qui sont séparés pourront se retrouver. Les illustrations de Daria Petrilli s’ancrent à la fois dans un réalisme sordide et anxiogène – le mur lépreux, couronné de barbelé – et entrainent dans un surréalisme à forte connotation poétique – les oiseaux origamis, les enfants qui volent. Les couleurs – plutôt froides et sombres : gris, sépia – disent un monde où même le bleu du ciel n’a rien d’éclatant. En revanche, de magnifiques portraits d’enfants, partagés entre tristesse et joie, proposent leur vision d’un monde qui ne pourra pas toujours être ainsi, et dons lequel les frontières artificielles devront être abolies

Trente ans après la chute du mur de Berlin, de façon métaphorique, l’album parle de ces murs qui se multiplient un peu partout, du sud des Etats-Unis à la frontière entre Israël et la Palestine, de Calais à l’Italie, sans rien nommer, comme pour dire l’absurde de ces situations et la nécessité de l’amour ou de l’amitié. Un album utile pour sensibiliser les enfants au danger du repli sur soi, pour les inviter à se jouer de l’oppression et à vouloir défendre leur liberté de se rencontrer pour communiquer et vivre ensemble.

L’on avait beaucoup apprécié le travail de Daria Petrilli dans l’album Demain les rêves

 

 

La Femme à sa fenêtre

La Femme à sa fenêtre
Maram al-Masri – illustrations de Sonia Maria Luce Possentini
Bruno Doucey – Collection Poés’histoires 2019

Pour redonner le sourire aux enfants de Syrie et d’ailleurs…

Par Michel Driol

La fenêtre : un topos fréquent en poésie, comme le lieu où s’articulent le dedans et le dehors, l’intime et l’extérieur, le protégé et le dangereux. La femme qui regarde par la fenêtre de Maram al-Masri est à la fois celle dont parle le poème et celle qui parle dans le poème, tantôt (par trois fois) troisième personne, tantôt, le plus souvent, première personne.

Elle observe la vie au dehors.  Elle se souvient du bébé qu’elle a porté dans son ventre, qui a grandi, qui n’est plus là. Puis sa rêverie s’étend à tous les enfants, et plus particulièrement aux enfants de Syrie. Ne restent qu’un nounours et un cheval de bois. Le propos devient alors la lettre d’une mère arabe à son fils, lettre qui est une ode à la liberté. Tristesse et espoir se mêlent avant l’apothéose du souhait d’un monde meilleur, naïf et sincère comme ce poème.

La voix de Maram al-Masri, poétesse syrienne vivant en France depuis les années 80, est à la fois singulière et universelle. Il est question de l’amour d’une mère pour son enfant, d’un enfant arraché à ses bras, et d’un monde à réparer. Elle emprunte la voie du concret, des images physiques pour parler en termes simples des choses et des sentiments : le concret des jouets qui révèlent l’absence de l’enfant, le concret de la bave aux lèvres du nouveau-né, le concret de l’enfant qui se dandine comme un canard. La mort surgit avec la Syrie, avec cette image terrible et terrifiante des enfants
emmaillotés dans leurs linceuls
comme des bonbons enveloppés…

Ces images très concrètes n’empêchent pas le propos d’aborder et de nommer quelques concepts fondamentaux : la liberté, le mensonge, la paix, et de proposer quelques métaphores  qui ouvrent à un autre monde, celui du rêve et du désir :
faire tomber sur les enfants
un déluge de joie
et des papillons de baisers

Maram al-Masri qui dit ici un monde désespérant ne veut pas perdre l’espoir. Prise entre le elle et le je, entre la ville en paix et la ville en guerre, entre la joie et la tristesse elle dit l’étroite voie de l’écriture, à la manière d’Eluard dans Liberté, elle dit aussi la difficulté à trouver sa place en tant que femme. De la fenêtre, elle regarde le monde, les guerres, l’absence des enfants, et n’a que la force des mots pour préparer un monde plus fraternel. On songe encore à Eluard : le poète est celui qui donne à voir.

Le recueil est magnifiquement illustré par Sonia Maria Luce Possentine, dans un style très réaliste, proche de la photographie en sépia.  Sur la couverture, un beau visage de femme, encadré par des rideaux, les yeux tournés vers le ciel. Et sur la quatrième de couv’, loin au-dessus de rideaux, comme dans l’axe du regard de la femme, un oiseau dans le ciel. Images de calme, de paix, de rêverie… Sept doubles pages rythment le recueil, où revient, comme un leitmotiv, le rideau. Des images qui tantôt montrent la femme dans différents contextes : près de ses rideaux, enceinte,  puis elles laissent la place à des enfants dans des décors de villes bombardées,  avant de ne montrer qu’une ville détruite, des jouets abandonnés… Et enfin des enfants qui sourient, des jouets dans leurs mains, des oiseaux qui envahissent le ciel. On le voit, à leur façon, les illustrations accompagnent le mouvement du recueil avec leur propre poésie, et font naitre l’espoir.

Un beau recueil qui dit l’amour, la douleur, et la liberté, et qui désire  que le monde retrouve la paix, la liberté et la fraternité. Un texte fort, militant, d’une femme sincère dans sa recherche de la liberté et de la concorde.

 

Noun et Boby

Noun et Boby
Praline Gay-Parra, Lauranne Quentric (ill.)
Didier Jeunesse, 2019

Sans mièvrerie

Par Christine Moulin

Il y a récit de quête et récit de quête. Dans la littérature de jeunesse, les parcours et les arrivées sont parfois stéréotypés et un peu mièvres. Rien de tout cela avec cet ouvrage au titre pourtant neutre. Le cadre fait la différence: un petit garçon, Noun, est seul, ou presque, dans une ville toute grise désertée, dévastée, par une guerre sans doute: les papiers collés qui la représentent en font un lieu fantomatique et oppressant. Le point de départ est également original et émouvant: Noun part à la recherche d’un chien, Boby, qu’une de ses voisines a abandonné, en s’enfuyant dans un taxi. Au cours de son périple, il est amené à sauver d’autres animaux que Boby: un  oiseau, qu’on peut voir comme un symbole de liberté, une chatte et ses petits, qui indique que la vie continue et qu’une renaissance est possible, au milieu du désastre. Tous les éléments qui peuvent signifier l’espérance sont dessinés et se détachent sur le décor, en particulier Noun, vêtu de rouge, qui souligne combien il est porteur d’une énergie généreuse qui l’emporte sur la pesanteur de la catastrophe. L’avant-dernière double page, par contraste avec les autres, est une explosion de couleurs et ouvre vers un lieu enfin accueillant, où se trouvent de nombreux animaux et… Boby, dont le collier rouge évoque le lien indéfectible avec son nouveau maître. La dernière double page est une merveille de tendresse apaisée. Heureusement car on aurait pu interpréter la descente de Noun vers le paradis des animaux dans un sens beaucoup plus tragique.