Mirabelle Prunier

Mirabelle Prunier
Henri Meunier & Nathalie Choux
Rouergue 2020

Rejeton rejeté

Par Michel Driol

Prénommer sa fille Mirabelle quand on se nomme Prunier, voilà un choix qui parait bien insensé. Et la petite fille devient la cible des quolibets, des moqueries, qu’elle encaisse en ne leur opposant que l’amour. De plus en plus isolée, elle s’installe en lisière du village, sur un coin de terre stérile, où elle finit par prendre racine et se métamorphoser en un prunier qui offre à tous de magnifiques fruits.

Henri Meunier et Nathalie Choux proposent ici un bel album poétique, complexe, qui pourra faire l’objet de multiples lectures tant les thèmes qu’il tisse sont riches. Il y est question de violence et d’amour, du pari de l’intelligence contre la bêtise. Il y est question de ce que peut une méchanceté gratuite contre un enfant, de la souffrance et de la discrimination, des souffrances psychologiques causées par l’inattention ou la bêtise, de la violence des comportements harcelants. Il y est question aussi de la force de l’amour, du don de soi, contre toutes les formes d’exclusion et de violence. Mais à quel prix ? Celui de l’abandon de sa condition, d’une façon de s’endurcir, de se raidir, de s’aliéner pour devenir autre chose que soi. Cette métamorphose, qui inscrit l’album dans un réseau très riche, n’a lieu que pour échapper au pire. Passant de l’humain au végétal, l’héroïne ne perd rien de son amour et de sa générosité, pardonne, et offre ce qu’elle a de mieux à offrir, et que les hommes n’ont pas su voir, et inaugure une nouvelle ère remplie d’espoir.

Proche du conte, par l’univers merveilleux dans lequel il se situe et la métamorphose qu’il raconte, l’album est écrit dans une langue poétique superbement travaillée, rythmée, faite d’anaphores qui invitent à prendre le temps de la lecture et du récit. Les images, quant à elles, donnent d’abord à voir la dégradation de la petite fille, cheveux de moins en moins soignés… Puis le temps qui passe, les saisons, les ans, dans une grande douceur qui contraste avec ce que le texte peut avoir de violent dans la métamorphose. L’album se tient sur une ligne de crête, un entre-deux riche entre amour et violence, acceptation et rejet, aliénation et identité, acidité et sucré. Rien n’est caché de la cruauté enfantine, du désespoir et de la tristesse qui submerge la fillette, de la patience qu’il faut pour devenir arbre, s’endurcir et finalement se livrer aux saisons et au temps qui passe. Rien n’est tu non plus de ce mouvement qui pousse vers l’autre, du pardon et de l’amour comme force supérieure.

Un album atypique, plein de poésie qui se termine sur une leçon optimiste et pleine d’espoir : il est possible de trouver sa voie contre un destin tout tracé.

Sam de Bergerac

Sam de Bergerac
Sarah Turoche-Dromery
Thierry Magnier, 2019

Cyrano au collège

Par Anne-Marie Mercier

Sam est collégien, et ce n’est pas sans importance pour la suite du récit : entre des descriptions de cours savoureuses (ah ! le professeur sadique de français, « Lachique-le-diabolique » et ses beaux sujets de rédaction qui sentent bon le terroir et l’enseignement des années 50…, les séances de SVT – quoique il me semble qu’on ne dissèque plus de grenouilles de nos jours –), des réflexions sur la vie des élèves entre eux, les « bons » et les moins bons, les forts et les faibles, et les amours de ces jeunes gens, l’intrigue adopte pour son début une situation proche du modèle du Cyrano de Bergerac de Rostand.

Sam prête donc sa plume à son meilleur ami pour l’aider à faire la conquête de celle qu’il aime en secret depuis longtemps, une camarade de classe. Mis au courant, d’autres garçons lui demandent la même chose et il se trouve à la tête d’une entreprise qui demande talent (il en a) prudence (idem) et organisation. Heureusement, sa sœur plus âgée veille, et lui permet de mettre des limites à cette entreprise et à obtenir des contreparties. Le jour de la Saint Valentin, la situation dérape… On ne dévoilera pas comment mais on se contentera de dire que Sam, s’il n’est pas, contrairement à son modèle, pris de passion pour l’une des destinataires de ses lettre, a pris goût à l’écriture de lettres et découvre qu’il n’est pas le seul rusé de l’affaire. C’est drôle, conté avec une écriture et des dialogues pleins de punch, les textes écrits par Sam sont dignes d’inspirer des collégiens en mal d’amour (nota : même si la situation est un peu stéréotypée, les garçons s’activant pour conquérir des filles, les filles ont parfois l’initiative).

Ce livre a obtenu le prix Gulli du roman 2019
lire les premières pages

 

La Femme à sa fenêtre

La Femme à sa fenêtre
Maram al-Masri – illustrations de Sonia Maria Luce Possentini
Bruno Doucey – Collection Poés’histoires 2019

Pour redonner le sourire aux enfants de Syrie et d’ailleurs…

Par Michel Driol

La fenêtre : un topos fréquent en poésie, comme le lieu où s’articulent le dedans et le dehors, l’intime et l’extérieur, le protégé et le dangereux. La femme qui regarde par la fenêtre de Maram al-Masri est à la fois celle dont parle le poème et celle qui parle dans le poème, tantôt (par trois fois) troisième personne, tantôt, le plus souvent, première personne.

Elle observe la vie au dehors.  Elle se souvient du bébé qu’elle a porté dans son ventre, qui a grandi, qui n’est plus là. Puis sa rêverie s’étend à tous les enfants, et plus particulièrement aux enfants de Syrie. Ne restent qu’un nounours et un cheval de bois. Le propos devient alors la lettre d’une mère arabe à son fils, lettre qui est une ode à la liberté. Tristesse et espoir se mêlent avant l’apothéose du souhait d’un monde meilleur, naïf et sincère comme ce poème.

La voix de Maram al-Masri, poétesse syrienne vivant en France depuis les années 80, est à la fois singulière et universelle. Il est question de l’amour d’une mère pour son enfant, d’un enfant arraché à ses bras, et d’un monde à réparer. Elle emprunte la voie du concret, des images physiques pour parler en termes simples des choses et des sentiments : le concret des jouets qui révèlent l’absence de l’enfant, le concret de la bave aux lèvres du nouveau-né, le concret de l’enfant qui se dandine comme un canard. La mort surgit avec la Syrie, avec cette image terrible et terrifiante des enfants
emmaillotés dans leurs linceuls
comme des bonbons enveloppés…

Ces images très concrètes n’empêchent pas le propos d’aborder et de nommer quelques concepts fondamentaux : la liberté, le mensonge, la paix, et de proposer quelques métaphores  qui ouvrent à un autre monde, celui du rêve et du désir :
faire tomber sur les enfants
un déluge de joie
et des papillons de baisers

Maram al-Masri qui dit ici un monde désespérant ne veut pas perdre l’espoir. Prise entre le elle et le je, entre la ville en paix et la ville en guerre, entre la joie et la tristesse elle dit l’étroite voie de l’écriture, à la manière d’Eluard dans Liberté, elle dit aussi la difficulté à trouver sa place en tant que femme. De la fenêtre, elle regarde le monde, les guerres, l’absence des enfants, et n’a que la force des mots pour préparer un monde plus fraternel. On songe encore à Eluard : le poète est celui qui donne à voir.

Le recueil est magnifiquement illustré par Sonia Maria Luce Possentine, dans un style très réaliste, proche de la photographie en sépia.  Sur la couverture, un beau visage de femme, encadré par des rideaux, les yeux tournés vers le ciel. Et sur la quatrième de couv’, loin au-dessus de rideaux, comme dans l’axe du regard de la femme, un oiseau dans le ciel. Images de calme, de paix, de rêverie… Sept doubles pages rythment le recueil, où revient, comme un leitmotiv, le rideau. Des images qui tantôt montrent la femme dans différents contextes : près de ses rideaux, enceinte,  puis elles laissent la place à des enfants dans des décors de villes bombardées,  avant de ne montrer qu’une ville détruite, des jouets abandonnés… Et enfin des enfants qui sourient, des jouets dans leurs mains, des oiseaux qui envahissent le ciel. On le voit, à leur façon, les illustrations accompagnent le mouvement du recueil avec leur propre poésie, et font naitre l’espoir.

Un beau recueil qui dit l’amour, la douleur, et la liberté, et qui désire  que le monde retrouve la paix, la liberté et la fraternité. Un texte fort, militant, d’une femme sincère dans sa recherche de la liberté et de la concorde.

 

La Fille cachée du roi des Belges

La Fille cachée du roi des Belges
Brigitte Smadja, illustrations de Juliette Bailly
L’école des loisirs (neuf), 2018

Mystère à l’école

Par Anne-Marie Mercier

Lorsqu’une nouvelle élève, nommée Bérangère, arrive dans la classe de CM2 de Noisy-Le-Sec, c’est la révolution : certains garçons, dont Mehdi, le narrateur, tombent sous son charme et perdent tous leurs moyens; ils en oublient leurs autres ami.es et leurs comportements habituels. Certaines filles sont entre désir d’imiter et détestation. Tous finissent par vouloir son départ tant elle aura troublé les habitudes de la classe.
Le fait qu’on ne sache pas d’où elle vient, pourquoi elle est autorisée à arriver en retard tous les matins, pourquoi elle mange à l’école mais pas à la cantine, et pourquoi elle est accompagnée par un homme en costume qui a une allure de chauffeur dans une voiture de luxe, tout cela reste mystérieux et le restera jusqu’à la fin malgré les hypothèses intéressantes émises par Mehdi et ses ami.es.
Si le personnage du narrateur est touchant et timide, et d’autres de ses amis et amies bien campés (des jumeaux, une copine énergique qui fait du skate, etc.), l’intérêt du livre tient surtout à la situation dans laquelle se trouve Bérangère : elle déchaine sans le vouloir une agressivité qui dégénère en violence, le maitre perd son autorité, tout menace de virer au drame.
La réponse à la question « qui est Bérangère ? » n’est sans doute pas qu’elle est la fille cachée du roi des belges; elle est peut-être proche des hypothèses faites par Mehdi et ses ami.es à la fin du volume, l’auteur ne conclut pas, ce n’est pas le plus important. Ce qui est important, c’est le mécanisme de la rumeur, des comportements grégaires, de la curiosité excessive. Cet engrenage est ici mis en évidence mais la gravité du propos n’interdit pas l’humour et les situations cocasses ne manquent pas non plus.

Mamie fait sa valise

Mamie fait sa valise
Gwladys Constant
Rouergue 2019

Tout est toujours à remailler du monde…

Par Michel Driol

Mamie a quitté pépé, et vient habiter dans la famille d’Armand. Tout cela parce qu’elle en a assez, parce que son mari ne lui fait plus de cadeaux, ne s’occupe plus d’elle… Pour Armand, une seule chose à faire : réconcilier ses grands-parents. Ce à quoi il s’emploie, faisant l’intermédiaire entre eux, invitant son grand père à faire telle ou telle chose, en fonction de ce que sa grand-mère lui dit. Mais la grand-mère est difficile ! Et Armand ne se décourage pas ! L’Amour triomphera à la fin, avec un second voyage de noces en Italie, le pays d’origine…

Gwladys Constant signe là un roman léger – ce qui n’est pas un défaut – et plein d’humour. Le récit est pris en charge par Armand, et tout est donc vu à travers ses yeux d’enfant qui ne comprend pas toujours le monde des adultes, mais qui s’avère un petit garçon au grand cœur plein de bonne volonté. Le texte fait la part belle à des dialogues savoureux. Les situations cocasses s’enchainent, la grand-mère se révélant assez déjantée – entre la Vieille dame indigne et Tatie Danielle. Les relations entre adultes – le gendre, la faille et la mère sont aussi vues à travers les yeux de l’enfant : que faire quand votre chambre à coucher est squattée ? Dans ce roman, comme souvent en littérature jeunesse, les adultes s’avèrent assez enfantins, et les enfants remettent le monde en ordre. Voici donc le portrait d’une famille un peu folle – comme Gwladys Constant semble aimer  les dépeindre pour notre plus grand bonheur. (Voir notre chronique sur Philibert Merlin)

Un roman drôle, agréable à lire, optimiste, qui montre aussi comment un enfant grandit et découvre la complexité d’un monde qu’il n’interprète pas toujours bien.

Les Riches Heures de Jacominus Gainsborough

Les Riches Heures de Jacominus Gainsborough
Rébecca Dautremer
Sarbacane, 2018

Le Très Riche Album de Rébecca Dautremer

Par Anne-Marie Mercier

« Les Riches Heures » évoque un ouvrage médiéval, un livre d’heures enluminé. Mais Rébecca Dautremer nous livre ici une version toute laïque de ce calendrier : on y égrène le temps : non pas des mois mais des années, celles vécues par le héros, de sa naissance à sa mort. Une vie « riche » non parce qu’elle est exceptionnelle, mais parce qu’elle a été vécue pleinement et longuement. C’est ainsi que, avant de s’endormir pour la dernière fois, Jacominus fait le bilan de son passage : « je n’ai pas été un héros, et ma vie a été simple. Ce fut une petite vie, vaillante et remplie. Une bonne petite vie qui a bien fait son travail. Je t’ai bien aimé ma petite vie ».

On le suit de la naissance à la mort : une famille aimante avec plein d’amis (ils remplissent les pages, notamment les pages de garde, légendées, où l’on peut jouer à les reconnaitre, à se souvenir des liens de parenté et d’amitié), un accident qui le laisse estropié, des difficultés à trouver sa place à l’école et ailleurs, des difficultés à rester en place et donc des voyages, des progrès dans la compréhension des autres, dans le rapprochement avec Douce, celle qu’il préfère, des moments où le quotidien s’impose et oblige à renoncer à ses propres rêveries pour répondre aux demandes du réel, notamment à travers ses enfants, du temps pour comprendre que l’on change et que le temps passe… C’est un mini traité de la « vie bonne », pas très facile et ordinaire, mais portée par l’affection, le courage et l’attention.

Rébecca Dautremer a pris pour un héros un personnage animal : malgré son nom (Jacominus Stan Marlowe Lewis Gainsborough), Jacominus est un petit lapin : mais ce n’est nullement une façon de se lancer dans les « histoires de lapin » dénoncées par Christophe Honoré dans Le Livre pour enfants, il n’y a rien de niais ni de futile. Tous les personnages sont des animaux (lapins, poules et coqs, chiens et chiennes, chèvres et boucs…) mais ils sont fortement anthropomorphisés et vivent dans des décors urbains, des maisons, des paysages travaillés. Ils vivent des vies d’hommes : école, voyage en mer, guerre…

Enfin, les images inscrivent ces « heures » dans l’histoire et dans l’histoire de l’art : les jeux d’enfants dans la neige évoquent Brueghel, des paysages font penser à Seurat, à Eugène Boudin (à moins qu’il faille chercher du côté du cinéma (Ma Loute de Bruno Dumont ?), une vue urbaine à Hopper, une scène de guerre dans la neige a un air de déjà vu (campagne napoléonienne ?), la page qui se lit verticalement est sans doute proche d’une illustration d’Alice au pays des merveilles… et bien d’autres encore qu’il faudrait chercher si l’on voulait tout savoir de la fabrique de l’album.

Mais il n’est pas besoin de chercher si loin pour tirer de la lecture et de la contemplation un plaisir parfait, que ce soit celui des enfants ou celui des adultes.  C’est un grand album, aussi bien par sa taille (le format est haut et plus large que d’ordinaire en proportion, ce qui donne des doubles pages proches du panorama), par son sujet, par la richesse, la variété et la beauté de ses images, par la simplicité et la musicalité du texte.

Le Projet Starpoint, vol. 1 : La fille aux cheveux rouges

Le Projet Starpoint, vol. 1 : La fille aux cheveux rouges
Marie-Lorna Vaconsin
La Belle colère, 2017

Des extraterrestres au lycée ?

Le héros de ce roman foisonnant s’appelle Pythagore (Pyth pour les intimes). On devine que ses parents sont des scientifiques. Son père est dans le coma depuis quelques temps, à la suite d’une agression un peu étrange. On apprendra au fil du roman que les autres personnes qui travaillaient sur le même projet de recherche en physique quantique, le projet Starpoint, ont également eu des accidents et en sont mortes.
Mais l’action tourne dans ce premier volet autour de Pythagore et de sa vie dans son lycée breton, plus précisément du pays de Retz, lieu où sévit autrefois Gilles de Rais, compagnon de Jeanne d’Arc devenu criminel au point de servir (dit-on) de modèle à Barbe-Bleue. Fête de rentrée, retrouvailles entre copains, cours plus ou moins passionnants, agacement devant le côté fuyant de sa meilleure amie qui l’ignore, sous l’emprise d’une jeune fille rousse nouvellement arrivée au lycée. La vie des adolescents d’aujourd’hui est bien retracée, notamment dans la description de la fête où Pyth fait le DJ… boit plus qu’il ne devrait, embrasse qui il ne faut pas, etc.
Sur ce fond réaliste, les mystères s’accumulent. On n’en fera pas la liste tant ils sont nombreux. Les jeunes gens basculent dans un univers parallèle menaçant, relèvent de nombreux défis, se surpassent par amour ou par amitié. C’est trépidant, complexe, parfois cruel et sanglant… et l’on voit un début d’explication au mythe de la Barbe Bleue.

L’énergie adolescente des personnage et le rythme trépidant des événements vont bien avec la ligne affichée par La Belle colère : c’est un « label » qui, créé par deux éditeurs, « Dominique Bordes et Stephen Carriere, patrons respectifs des éditions Monsieur Toussaint Louverture et Anne Carriere, a pour particularité de proposer des romans dont les héros sont des adolescents – sans que le « jeune public » soit spécifiquement visé ». Ils proposent des inédits, des traductions et des rééditions (comme Un été 42) voir en fin de page l’entretien publié par Le Monde en 2014.

 

Orphée Divin musicien

Orphée Divin musicien
Sylvie Gerinte – Daniele Catalli
Amaterra 2019

Tout sur Orphée…

Par Michel Driol

Dans la collection Les grands textes à hauteur d’enfant, ce volume adapte l’histoire d’Orphée. En Thrace, le berger Atys rencontre souvent le musicien et poète Orphée. Il le questionne d’abord sur l’origine de sa maitrise de la musique et du chant, puis lui demande de raconter le voyage des Argonautes. A la fin de ce récit, Orphée aperçoit Eurydice. Atys assiste au mariage, puis à la mort d’Eurydice. Il encourage alors son ami à aller chercher sa femme au royaume des morts. A son retour, Orphée raconte son échec à Atys.  Quelques temps plus tard, Atys, horrifié, assiste à la mise à mort d’Orphée par les Bacchantes.

On a affaire à une adaptation qui permet à un jeune lecteur de s’imprégner du mythe d’Orphée. Le recours à un personnage secondaire, Atys – clin d’œil à l’opéra baroque ? – permet dans le dialogue de donner des informations sur le personnage d’Orphée de façon naturelle. Cette volonté de vulgarisation des éléments antiques se retrouve partout : explication de Charybde et Scylla, des causes du la quête de la Toison d’Or… En quelques mots, le jeune lecteur possède tous les éléments mythologiques lui permettant de comprendre les enjeux des histoires racontées, sans que cela ne nuise à la dynamique du récit. Le texte, au présent, est facilement accessible et vivement conduit. Une notice finale signale les auteurs grecs et latins qui ont popularisé ce mythe.

Les illustrations de Daniele Catalli en trois couleurs, bleu, ocre et noir, soulignent certains passages  et esquissent un univers particulier qui ne cherche pas à prendre la place de l’imaginaire suscité par le texte, mais l’accompagnent.

 

 

 

 

A la poursuite de ma vie

A la poursuite de ma vie
John Corey Whaley, Antoine Pinchot (trad.)
Casterman, 2015

« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » (Héraclite)

Par  Christine Moulin

Cela commence très fort: « Voilà: j’étais vivant, et puis je suis mort. C’est aussi simple que ça. Sauf que je suis de retour. Ce qui s’est passé dans l’intervalle est pour moi un peu flou. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ma tête a été séparée de mon corps  puis placée dans un congélateur de l’hôpital de Denver, dans le Colorado ».

Comme on le voit, le narrateur, Travis Coates, a eu le droit à un traitement tout à fait spécial et expérimental: alors qu’il était atteint d’une maladie mortelle, on a congelé sa tête pour la transplanter sur le corps d’un donneur. L’incipit met en scène son « réveil », cinq ans et un mois après.

Ce qui emporte tout de suite l’adhésion, après ce début  légèrement (!) rocambolesque, c’est que l’auteur en déduit les conséquences présentant un intérêt romanesque, de la façon la plus réaliste possible, étant données les circonstances: Cate, la petite amie de Travis est fiancée, par exemple, ses parents ont jeté toutes ses affaires, son ordinateur met trois jours à installer ses mises à jour !…

L’intérêt ne faiblit pas car très vite, des « couacs » laissent deviner que revenir à la vie n’est pas chose facile: Cate ne se manifeste pas; le meilleur ami de Travis, Kyle, semble avoir oublié une confidence qu’il lui avait faite à la veille de sa mort; bref, le narrateur se sent « pris au piège dans une version bancale de [son] passé ». On suit alors les tourments du héros, perdu dans un labyrinthe d’émotions et de sentiments contradictoires car c’est la très grande force de ce roman que d’avoir renoncé au côté technologique et spectaculaire de l’hypothèse de départ et d’en avoir au contraire développé les aspects sentimentaux et psychologiques: Travis est un adolescent et sa situation ne fait qu’amplifier les tourments liés à son âge (concernant l’amour, l’amitié, les relations avec les parents), ce qui permet facilement au lecteur de s’identifier à lui et de s’intéresser à ce qui lui arrive, presque comme s’il était un garçon « normal ». Mais le roman est également une réflexion subtile et originale sur le deuil: qui ne s’est pas demandé ce qu’il ressentirait si un proche disparu revenait à la vie?

Divers Cités 2

Divers Cités 2
Marine Auriol – Antonio Carmona – Claudine Galea – Sébastien Joanniez – Ronan Mancec – Lise Martin – Fabrice Melquiot  – Mariette Navarro – Guillaume Poix – Julie Rossello-Rochet
Editions Théâtrales Jeunesse 2018

10 pièces pour la pratique artistique en 5’55

Par Michel Driol

Ce recueil réunit 10 petites formes écrites par dix auteurs différents, destinées à être lues et interprétées par des lycéens, d’une durée de 5’55. Dans Dernier appel, Marine Auriol fait dialoguer au téléphone deux jeunes filles qui ont décidé de partir en Syrie. Dans Les pieds sous la table, Antonio Carmona traite sous forme de trois monologues ce qui se joue entre trois ados autour d’une table, gestes et interprétations des gestes sources de quiproquos. Claudine Galea propose un diptyque : Un bon coup(F) et Un bon coup(G) pour donner deux versions féminin/masculin d’une histoire d’amour entre ados de milieux différents. Sébastien Joanniez propose Moi aussi, un texte sans distribution, récit d’un couple pauvre attendant un enfant, et relatant quelques moments avec lui dans le centre commercial. Avec Le noyau affinitaire Ronan Mancec montre une réunion qui tourne en rond, sur la question de signer ou ne pas signer une lettre ouverte qu’on a écrite ensemble. Dans Un truc par cœur Lise Martin signe un texte choral avec un personnage et un chœur parlant des relations difficiles entre des élèves et un enseignant, des insultes et des remords.  Fabrice Melquiot  brosse dans Carré blanc sur fond blanc, sous forme de rap, un portrait de fille, et évoque la rencontre avec un garçon. La Place de Mariette Navarro montre les relations profs / élèves / spectateurs lors d’une sortie scolaire au théâtre, révélant préjugés et relations sociales. Jaillir de Guillaume Poix propose deux monologues Garçon  Fille, sans ponctuation, associant parole et poings. Enfin, It’s Okay to say no de Julie Rossello-Rochet part d’une agression actuelle dans un bus pour raconter Rosa Parks de façon chorale. Ces dix textes  sont suivis d’une autobiographie de chaque auteur : de moi, j’aimerais vous dire…

On le voit, les textes sont des propositions très variées, parlant de ce que vivent les adolescents d’aujourd’hui dans des formes dramatiques très contemporaines et dans une langue souvent très poétique. De nombreux textes sont choraux, sans personnages définis, ce qui laisse tout loisir pour la mise en scène et pose la question du personnage au théâtre. D’autres, plus classiquement, proposent des personnages et jouent – se jouent – de leurs relations amoureuses, sociales, interpersonnelles. Comment chacun est prisonnier de sa classe sociale, de son milieu, voilà ce qu’ils disent souvent. Mais aussi l’espoir d’un monde dans lequel le pouvoir de dire non peut faire changer les choses.

Qu’on les lise en classe ou qu’on les monte, ces textes proposent aux adolescents un miroir dans lequel ils se reconnaitront sans doute et ils constituent une bonne initiation, dans leur diversité, à la langue du théâtre contemporain et à sa richesse esthétique.