Le Chat rouge

Le Chat rouge
Grégoire Solotareff
L’école des loisirs, 201

Chat rouge, chat blanc, nuit bleue

Par Anne-Marie Mercier

« Valentin Le Chat rougeétait un chat comme tous les autres chats. Mais c’était un chat rouge. Et tout le monde se moquait de lui ». Ce début reprend un thème cher à Solotareff, celui de la différence et de l’appartenance : qu’est-ce qu’être « comme tous les autres, mais… » ?

Ce début grave est vite estompé par les aventures de Valentin : la rencontre avec Blanche-Neige la chatte blanche, avec qui il affronte un loup qui a mal aux dents, une sorcière… Ces éléments du folklore ne sont là que pour pimenter les étapes du récit, récit un peu lâche qui se résout vite par un constat sur l’indépendance des chats et leur incapacité à s’enfermer dans un rôle : « chat qui s’en va tout seul », disait Kipling.

L’intérêt principal de l’album est dans les illustrations, toujours superbes, proches du style ordinaire de Solotareff, mais avec un usage de l’aquarelle plus doux. Enfin, le traitement de l’espace, très stylisé est symbolique de l’histoire : le réel avec un paysage de village et de route, fils électriques, voiture…, et un espace d’aventure dans la forêt où erre le loup et où se trouve la petite maison de la sorcière, caractérisée par de superbes paysages de neige et de nuit, noirs, blancs, bleus.

Le Livre de Perle

Le Livre de Perle
Timothée de Fombelle
Gallimard jeunesse, 2014

Entrelacs

Par Anne-Marie Mercier

« Je glissais dans une barque entre les aulnes et les peupliers. Les feuilles des nénuphars se laissaient écraser par la coque du bateau, mais les fleurs ressortaient de l’eau comme des bouchons après mon passage. Des libellules se posaient sur les rames. J’avais l’impression de remonter vers une source » (p. 221)

Les romanlelivredeperles de Timothée de Fombelle ont beau être tous différents, ils ont en commun un même fond de nostalgie, dans tous les sens de ce mot : ses héros ont été un jour chassés d’un lieu sûr et aimant, un paradis de plaisirs simples qui est souvent celui de l’enfance. Ils errent à la recherche d’un passage qui les ramènera chez eux et entretemps se terrent dans un refuge secret. Ils se cachent, de peur d’être démasqués et éliminés pour ce qu’ils sont : les représentants d’un royaume, d’une époque, ou d’un peuple idéal, des porteurs d’espoir.

Le – ou plutôt les – héros du Livre de Perle sont hantés par ce désir de retour : deux êtres féériques chassés de leur monde dans le nôtre, qui ne croit pas aux fées, deux amoureux séparés ; avec eux, un humain hanté par le souvenir d’un premier chagrin d’amour et d’un épisode étrange, comme un rêve, dans lequel il rencontre celui qui se fait appeler Perle – Ilian dans le monde du conte. Tous les personnages marchent au chagrin comme d’autres à l’ambition ou à la quête d’un désir : c’est leur moteur, leur allié, leur guide. Chagrin de la séparation, du deuil, de l’abandon, du mésamour, il se décline dans chaque épisode.

Ce chagrin est le chemin de leurs quêtes. Perle cherche MagasinZinzindes preuves de son existence antérieure, objets étranges ou sortis de contes de fées à l’image de ceux du Magasin Zinzin de Frédéric Clément. Chaque objet est un peu comme ces petites choses que l’on conserve pour garder vivant le souvenir et arrêter ainsi le cours du temps, un rêve d’éternelle jeunesse. On les conserve, on les emballe précieusement, comme les parents adoptifs de Perle, puis lui-même lorsqu’il prend leur place, emballent les guimauves dans le magasin parisien qui est au cœur du roman. Ils les plient dans un papier de soie orné d’une couronne, celle du prince déchu qu’est tout être sorti de l’univers merveilleux de l’enfance. Les valises entassées par Perle témoignent du désir de sauver de l’oubli ce qui est l’évanescence même, les souvenirs du temps passé comme les objets féériques.

Mais ce livre n’est pas pour autant un conte de fées : Perle traverse les rafles, la guerre, le camp de prisonniers, la résistance, les réseaux de collectionneurs fous; il travaille et parcourt le monde à la recherche de celle qui est toujours à côté de lui, son Eurydice qui ne peut se dévoiler sans disparaître à jamais.

Le livre est tissé de la recherche de ce qui fuit, comme un rêve récurrent dont on essaie désespérément de renouer les fils, persuadé que le destin y est inscrit et qu’il dévoilera le secret après lequel on court. Il est composé ainsi, chaque chapitre donnant une bribe de l’histoire, dans des temps et lieux différents, donnant l’impression que des fils se dénouent lorsque d’autres se nouent. La hantise d’une histoire commencée, qu’on n’arrive pas à finir et qui de ce fait menace le monde (un peu comme dans L’Ecoute aux portes de Claude Ponti) trouve son remède dans la fiction c’est elle qui permet de redonner un sens, de lier ce qui est rompu, et de revenir dans le paradis perdu, celui de l’enfance et celui des contes.

Tout cela est porté par une poésie au charme particulier et insaisissable, à l’image de l’eau qui parcourt tout le récit : n’est-ce pas après une source que les personnages masculins courent ? source d’eau, source des récits, « mer des histoires »…

Prix Pépite à Montreuil 2014, bien mérité !

 

Le roi de la montagne en hiver

Le Roi de la montagne en hiver
Sylvie Delom, Aurtélia Fonty,
Didier Jeunesse (Contes du monde), 2013,

  Respecter les saisons, faire confiance à la nature

Par Maryse Vuillermet

9782278070527-TAdaptation réussie de deux contes, l’un russe et l’autre tchèque. Une mère a deux filles, l’une méchante et laide comme elle, et l’autre, jolie et gentille comme son père décédé. La veuve et la méchante fille maltraitent la belle. Elles lui imposent leurs caprices et exigences. Par exemple, elles lui demandent  des fleurs en hiver. La pauvre enfant part dans le froid et la neige mais rencontre près d’un feu des hommes encapuchonnés, ce sont les saisons.Janvier l’aide en lui faisant rencontrer Mars qui fait revenir une bouffée de printemps, la petite rapporte les violettes demandées. Sa sœur exige ensuite des fraises, même aide de Frère Juin et ceci, pour toutes les demandes et toutes les saisons. La dernière demande de la méchante sœur est de l’or, la petite trouve, grâce à Janvier, des pierres précieuses dans la grotte de l’hiver. Mais au lieu de les ramener à la maison, elle les garde et prend le train dans la ville voisine pour s’enfuir. Cette fin anachronique et impertinente donne son charme à l’adaptation.

Mais j’ai aimé aussi l’hymne aux saisons et le thème du respect de la nature et de ses cycles. Les illustrations d’Aurélia Fronty, qui puise son inspiration dans des tissus orientaux très colorés et imagine ses visages stylisés d’après ses  multiples voyages,  participent à l’atmosphère à la fois exotique et universelle.

L’Homme à la peau d’ours. Un conte de Grimm

L’Homme à la peau d’ours. Un conte de Grimm
Ann Jonas, Sébastien Mourrain
Seuil jeunesse, 2013

GRRR !

Par Anne-Marie Mercier

hommealapeaudoursC’est un conte bien étrange que celui de L’Homme à la peau d’ours, des frères Grimm : Au début de l’histoire, on voit que la paix est un malheur… pour les soldats qui ne savent rien faire d’autre et que la société abandonne. A la fin, deux des personnages se suicident (certes, il s’agit des méchantes sœurs de l’héroïne). Au milieu, un pacte avec le diable : le héros accepte de revêtir une peau d’ours et de ne pas se laver ni se couper les ongles et les cheveux et ainsi de provoquer le dégoût chez ses semblables, malgré sa bonté. C’est une sorte de métamorphose réaliste qui oppose apparence animale d’une part, bonté et … richesse d’autre part, le second étant le plus souvent plus efficace que le premier.

Le mélange est curieux, entre obsession de l’argent et fantastique. Les dessins stylisés et sobres Le-Vaillant-Petit-Tailleurde Sébastien Mourrain. Le texte d’Anne Jonas suit fidèlement l’original.

Pour écouter le conte: http://www.youtube.com/watch?v=5CV87WJoM88

ET… puis, pour les adultes qui auraient envie de rire un peu des frères Grimm, lisez Le Vaillant petit tailleur d’Eric Chevillard, il existe en plus maintenant en version poche, un régal !

L’Homme à la peau d’ours. Un conte de Grimm

L’Homme à la peau d’ours. Un conte de Grimm
Ann Jonas, Sébastien Mourrain

Seuil jeunesse, 2013

GRRR !

Par Anne-Marie Mercier

hommealapeaudoursC’est un conte bien étrange que celui de L’Homme à la peau d’ours, des frères Grimm : Au début de l’histoire, on voit que la paix est un malheur… pour les soldats qui ne savent rien faire d’autre et que la société abandonne. A la fin, deux des personnages se suicident (certes, il s’agit des méchantes sœurs de l’héroïne). Au milieu, un pacte avec le diable : le héros accepte de revêtir une peau d’ours et de ne pas se laver et se couper les ongles et les cheveux et ainsi de provoquer le dégoût chez ses semblables, malgré sa bonté. C’est une sorte de métamorphose réaliste qui oppose apparence animale d’une part, bonté et … richesse d’autre part, le second étant le plus souvent plus efficace que le premier.

Le mélange est curieux, entre obsession de l’argent et fantastique. Les dessins stylisés et sobres de Sébastien Mourrain (dommage cependant que l’intérieur soit d’un style différent de celui l’illustration de couverture) et le texte d’Anne Jonas suivent fidèlement l’original.

Pour écouter le conte

Le Petit Chaperon bleu

Le Petit Chaperon bleu
Guia Risari, Clémence Pollet

Le Baron perché, 2012

Le jeu des contes

Par Anne-Marie Mercier

Chaperon-BleuExercice n°1 : lire une énième histoire de chaperon, placée dans notre époque, et peu respectueuse des grands mères et des injonctions maternelles. Une jeune fille rencontre un garçon avec un costume de loup (Max devenu grand ?) qui tente de l’impressionner et de l’entrainer dans une histoire où il aurait le dessus. A la fin de l’histoire, ils sont devenus amis. Les illustrations de Clémence Pollet, qui présentent les deux enfants en bleu (la fille) et en rouge (le garçon) sur un fond blanc/beige et un décor urbain stylisé, suffiraient à elles seules à démontrer le côté décalé de ce Chaperon bleu. Pas très original.

Exercice n°2 : Un conte peut en cacher un autre : la fille propose au garçon de jouer d’autres contes, d’autres rôles. Les deux enfants se livrent ensuite au jeu des métamorphoses (les auteures nous invitent à imaginer en quoi la peur nous transformerait) : le jeu est une façon de décliner de multiples histoires et d’échapper aux rapports de forces.

Exercices N°3 : on lit les notes qui accompagnent certaines pages du texte. Faussement sentencieuses, elles commentent sur un ton moralisateur, disent le probable et le faux, proposent des listes, compléments, précisions, et donnent à l’ouvrage une bonne part de son originalité.

 Pour d’autres chaperons rouges, une page de croqulivre …

 

La mystérieuse histoire de Tom Coeurvaillant, aventurier en herbe (t. 1)

La mystérieuse histoire de Tom Coeurvaillant, aventurier en herbe
Ian Beck
Mijade, 2012

Enquête au pays des contes

Par Anne-Marie Mercier

TomcoeurvaillantDans le monde des contes, chacun a sa place : les aventuriers vivent les aventures, les princesses les attendent, les grenouilles se transforment… Tout cela grâce au contrôle du bureau des contes qui répartit les rôles. Mais voilà, l’un de ses membres, met la pagaille et tous les héros, membres de la famille Coeurvaillant, se retrouvent coincés dans des histoires inachevées. Du coup, c’est leur plus jeune frère qui part à leur recherche et qui remet en route chaque récit.

C’est ainsi un parcours pédagogique des thématiques des contes. Mais les promesses du début, inventif, ne sont pas tenues sur la longueur du récit. Il manque un peu de rythme et  de fantaisie, « coincé » qu’il est par les parcours obligés dans les différents types d’histoires.

Ian Beck est d’abord illustrateur (et de fait, les silhouettes noires sur blanc du livre sont tout à fait charmantes) ; la série de Tom Coeurvaillant (3 volumes parus entre 2006 et 2010) est son premier roman.

La Venture d’Isée

La Venture d’Isée
Claude Ponti

L’école des loisirs, 2012

Fausse aventure, vrai voyage en images

Par Anne-Marie Mercier

LaventuredIseeIsée, dans un album précédent (Mô- Namour), se retrouvait orpheline et avait bien des difficultés à surmonter. Ici, toujours accompagnée de son doudou Tadoramour, elle quitte volontairement ses parents, pour vivre une aventure choisie. Malgré le titre et ce début, on ne trouve pas de récit construit et structuré autour d’une quête, d’un manque à combler ou d’un drame comme dans les albums « historiques » de Claude Ponti. Le parcours est plus proche de ses derniers albums, listes de situations, catalogues… Il semble suivre le hasard des rencontres ou le caprice du moment. Isée garde son indépendance et surmonte tout, domine tout le monde y compris le Frédilémon, poing serré qui peut faire bien des choses (et qui reprend un « personnage » de Fred dans la série Philémon, comme son nom l’indique).

L’inventivité plastique, la circulation entre les images et les pages, la multiplication des détails, tout cela est magnifique, comme d’habitude.  Mais certains seront peut-être gênés par la gratuité de l’aventure comme de l’histoire et par la saturation du récit par les jeux de mots, mots scindés, tordus, collés, entrelardés… ; à force, ils finissent par relever du procédé plus que de la poésie verbale. D’autres se concentreront sur les images et prendront grand plaisir à s’arrêter sur chaque double page.

La Bande à Grimme

La Bande à Grimme
Aurélien Loncke
L’école des loisirs (neuf), 2012

Conte de Noël

Par Anne-Marie Mercier

la bande a grimmeLes personnages de ce court roman, une bande d’enfants errants et voleurs grelottant de froid sous la neige, ont peu à voir avec les contes de Grimm malgré le titre et les allusions fréquentes à cet univers. On est dans un récit réaliste, entre Oliver Twist, conte de noël et roman policier où les petits luttent (avec succès) contre une bande de méchants très affreux qui ont enlevé un illusionniste – ou un magicien – qui faisait leurs délices.

L’histoire est charmante, les enfants attendrissants, cela fait un très joli récit volontairement naïf où les allusions à d’autres histoires connues sont semées comme des petits cailloux, mais un peu gratuitement.

Theferless

Theferless
Anne Herbauts
Casterman, 2012

Pure beauté

Par Christine Moulin

theferless« Bonne journée qui commença mélancoliquement
Noire sous les arbres verts
Mais qui soudain trempée d’aurore
M’entra dans le cœur par surprise ».

Ces quelques vers issus du poème « A Pablo Picasso » (Les yeux fertiles), de Paul Eluard, pourraient en quelque sorte dessiner le parcours proposé par le splendide album d’Anne Herbauts. Tout commence dans la sombre forêt des contes, dans une maison « étroite et carrée », à la fenêtre faite de « peau de chagrin », installée dans le ventre d’un 8, qui finira par libérer l’infini qui est en lui.

Les personnages, sans nom, représentent plus qu’eux-mêmes : la Très Vieille, le Père, l’Enfant, la Mère-Giron, la Mort, le chat Moby Dick. Ne nous y trompons pas : ce n’est pas une histoire qui nous est racontée là. C’est l’histoire au cœur de toutes les histoires, c’est l’origine de tous et de chacun. C’est à l’échelle du mythe qu’il nous faut nous hausser, comme nous l’indiquent les nombreuses litanies, les merveilleuses listes qui scandent le récit. La première page ressemble à un prologue. Tout est en place, chacun tient son rôle, celui qui lui a été assigné de toute éternité: « La Mère tricote et brode. La Vieille s’en va lentement. La Mort rigole et joue aux dominos ».

Ce qui met en branle le cours du Temps, c’est une hirondelle, non pas celle qui fait le printemps mais au contraire, celle que le chat a attrapée, un jour d’automne, celle qui repartira, une fois soignée, car elle doit « retrouver le bleu » et tracer « l’espace, les saisons, le temps, le lointain, l’ailleurs » . Et l’on comprend alors pourquoi il est si important d’avoir, une fois dans sa vie, tenté, avec sa mère, de sauver un oiseau.

Toutes les phrases du texte sont ciselées et en même temps, si simples. De la simplicité des grandes évidences (« La chaise vide remplissait par son attente la moitié de la pièce », « La Mort racontait comment le jour était, de tout son long, un beau jeune homme », « Ils ont un ciel entier à travers la gorge, le cœur »,…) Chaque illustration est à sa manière un tableau, sans pour autant perdre de sa force narrative et symbolique, dans le chemin qui mène de l’ombre à la lumière. Un absolu chef d’œuvre qui éclaire la vie et donnerait presque un sens à la mort.