LX 18

LX 18
Kamel Benaouda
Gallimard jeunesse, 2022

Un soldat à l’école des émotions

Par Anne-Marie Mercier

Voilà une dystopie d’une grande actualité, et d’une extrême simplicité apparente. Elle traite d’un sujet hélas éternel, la guerre, et d’un autre, heureusement tout aussi éternel, celui des émotions et de l’empathie qui fondent l’humanité. Et tout en traitant de ces sujets, elle aborde le pouvoir de la littérature et de l’amour, la solidarité de groupes d’adolescents, les mécanismes de la résistance, de l’exclusion, et bien d’autres.
La simplicité du scenario tient à la nature du groupe d’adolescents auquel appartient le héros, LX18. Ils ont dès la naissance été donnés par leurs familles à la nation pour devenir des machines à combattre, formatés et élevés pour cela dès l’enfance. La guerre finie (toutes les guerres ont une fin, dit-on, sauf celle de 1984, et peut-être celle de ce roman), que faire d’eux ? Contre ceux qui, les considérant comme des monstres, voudraient les éliminer, d’autres proposent un programme de rééducation et de réinsertion : les jeunes gens, garçons et filles, sont envoyés au lycée et doivent se mêler aux autres. Leur « mission » est de s’intégrer le plus vite possible.
Si l’on suit en particulier le héros, d’autres itinéraires apparaissent ; certains sont éliminés rapidement, jugés incapables de s’adapter. La plupart des jeunes gens jouent le jeu avec plus ou moins de succès, certains rusent, d’autres tentent de se donner une mission plus active et arpentent les rues la nuit, en justiciers autoproclamés et vite redoutés, d’autres prennent le « maquis », d’autres enfin, comme LX18 qui passe par toutes ces étapes, découvrent peu à peu les émotions, l’humour, la douceur, en partie grâce à la littérature (il apprend le rôle de Titus, dans la pièce de Racine, Bérénice, pour le club théâtre), en partie grâce à ce qui n’a pas encore pour lui le nom d’amour.
L’évolution progressive du personnage se lit aussi à travers ses mots : c’est lui le narrateur de l’histoire. Comme dans Des Fleurs pour Algernon, le personnage s’ouvre en même temps que s’ouvre et s’enrichit le monde et la langue en lui. Ses certitudes, sa naïveté, sa confiance, puis son désarroi touchent le lecteur qui se prend d’amitié pour ce presque humain, tellement humain…

Kamel Benaouda qui a remporté la troisième édition du prix du premier roman jeunesse en 2018 signe ici un nouvel ouvrage passionnant, original et sensible.

Timothée Brahms et les dingueries follement dangereuses des mondes possibles

Timothée Brahms et les dingueries follement dangereuses des mondes possibles
Aurélie Magnin

Thierry Magnier, 2022

Je préférerais ne pas…

Par Matthieu Freyheit

On connaît la réponse que Bartelby, le personnage de Melville, oppose aux demandes de son supérieur : « I would prefer not to. »

Bartleby de l’aventure, Timothée Brahms se refuserait volontiers à celles qui s’imposent à lui. C’est que l’on sait les principes de l’aventure qui, battant en brèche les havres du confort, s’avance « à coups de nouveautés », selon la célèbre formule de Jacques Rivière. Le confort, pour Timothée, s’incarne dans un fauteuil Sslurp dont il ferait, s’il le pouvait, le décor de son été. Les adultes en décident malheureusement autrement : ses parents, pris par leur travail, décident de l’envoyer chez ses très étranges grands-parents…

A rebours de toute une littérature qui se plaît à fabriquer l’image d’une jeunesse avide d’aventures et de péripéties, Aurélie Magnin s’amuse à dresser le portrait d’un jeune garçon au souhait moins romanesque mais non moins réaliste : celui d’une paix royale. C’est sans compter l’effrayante inconstance (Timothée dirait : inconscience) des adultes, qui sort le personnage de sa retraite désirée pour le plonger dans l’inconfort de l’aventure.
C’est sous le signe de la mise à distance, notamment par l’humour, qui parcourt l’ensemble du livre, que s’ouvre ce roman dont le personnage voudrait qu’il n’en fût pas un :

« Franchement, il y a encore quelques jours, si j’avais su qu’un livre sur la vie de Timothée Brahms existerait, et que tu le lirais, je t’aurais dit :

– T’as lu le résumé au dos du livre ? Parce que dans ma vie, il ne se passe rien !

Apartés, parenthèses, formules barrées puis remplacées, prises à partie du lecteur se multiplient comme autant d’interventions directes du personnage qui résiste par l’humour aux situations dans lesquelles il se trouve embarqué. Foin de la focalisation traditionnelle de l’aventure qui impose au protagoniste d’être tout aux événements : si la rupture avec le quotidien a bel et bien lieu, Timothée n’a pas l’intention de s’y résoudre et impose à son tour aux péripéties les interférences récurrentes de son esprit caustique. Le procédé, parfois un peu répétitif, anime cependant l’ensemble et offre un agréable contrepoint, l’énergie du langage résistant comme elle le peut à l’énergie des événements, qui emportent Timothée malgré lui. Eloignement, conversations secrètes, rencontres inattendues, mystères et énigmes : les ingrédients de l’aventure sont tous là, mais le tout est pris dans une tonalité joyeuse et loufoque qui prend l’ascendant sur l’action. C’est qu’il est un amusement plus palpable encore : celui de l’auteure qui se plaît, dans un heureux mélange des discours et des points de vue, à appuyer par les réflexions de son personnage le déplaisir que celui-ci prend aux situations dans lesquelles son auteure le met.

 

 

Le Grand Tour

Le Grand Tour
Sandrine Bonini
Thierry Magnier, 2021

Grand voyage en terres imaginaires

Par Anne-Marie Mercier

C’est d’abord un très joli livre que le premier volume de cette saga de Sandrine Bonini, avec sa couverture d’un très beau bleu (bleu persan ?) sur laquelle se dessine en or les contours de la carte du pays où se déroulent les quêtes, un pays d’archipels et de continents, de bois et de montagnes. L’intérieur du livre poursuit cet enchantement avec de nombreux dessins imprimés en bleu, toujours de l’auteure, et avec des pages de texte imprimées en blanc sur fond bleu.

Nous voilà conditionnés à « embarquer », au propre comme au figuré : le lecteur suit trois personnages partis pour un périple maritime, l’un voulu, l’autre imposé et le troisième improvisé. Le jeune prince Arto est parti pour le « Grand tour » traditionnel qu’accomplissent les fils de famille haut placées pour voir le monde (comme les jeunes anglais le faisaient en Europe, au XVIIIe siècle) et faire briller le prestige du Duc et de leur propre famille. Mais en chemin, il opte pour un itinéraire plus aventureux et entraine dans les tempêtes tout l’équipage, dans un parcours qui l’amène vers les terres ennemies des Sinistres (c’est le nom donné au peuple de la rive opposée qui se tient prêt à en découdre avec les troupes du Duc). Siebel, la jeune fille qu’il aime, a été promise à son frère ainé et vogue avec celui-ci et son père, le Régent, dans un voyage d’ambassade, jusqu’au moment où tout bascule et où elle est envoyée seule vers le pays ennemi, sans bien savoir si elle joue un rôle d’otage, d’ambassadrice ou d’espionne. Aglaé, rompue aux exercices militaires, dirige un détachement de soldats, tous des garçons, qui acceptent mal son autorité. Ils sont envoyés enquêter sur une révolte dans l’une des mines du Duc. Elle découvrira l’envers de ce régime qu’elle soutenait et croyait jusque-là dévoué au bien de ses sujets ; enfin, elle partagera l’errance de révoltés, en trouvant refuge au pays des Sinistres.

De nombreuses aventures, des personnages aux parcours et aux caractères très différents (Arto n’a rien du prince idéal, il incarne un personnage imprévisible et « destructeur », Siebel est un peu naïve et « altruiste », Aglaé très volontaire, issue d’une famille déclassée, est une « idéaliste »), le cocktail est parfait pour tenir en haleine le lecteur Mais l’intérêt se double d’une présentation détaillée de coutumes des deux peuples qui vont, on le devine, s’affronter, dans leurs manœuvres politiques, diplomatiques et militaires, dans la volonté (ou non) d’accaparer les ressources naturelles du voisin et dans la réflexion sur ce que produit l’exploitation de ces ressources sur le plan humain, écologique et politique. Que les grandes familles, comme les intermédiaires, se voient signifier leur pouvoir par la possession d’un « bourgeon », pierre taillée qui indique leur rang, montre bien l’intrication de tous ces domaines.

C’est un premier volume parfaitement réussi qui met en place aussi bien le décor que les enjeux et lance les trois personnages dans des trajectoires convergentes… la suite au prochain volume (déjà paru) !

 

Le Phare aux oiseaux

Le Phare aux oiseaux
Michael Morpurgo, Benji Davis (ill.)
Gallimard jeunesse, 2021

Grand petit roman

Par Anne-Marie Mercier

Le Phare aux oiseaux est un vrai roman, avec des personnages forts et tourmentés, du suspens, des rebondissements, des actes héroïques, des voyages, des naufrages, des retrouvailles. Comme dans beaucoup de romans de Morpurgo il se passe pendant la guerre à laquelle le héros devenu grand, doit participer, sans enthousiasme. Il en revient plein de tristesse : nombre de ses amis sont morts et tout cela semble être vain (« je ne suis pas sûr qu’on gagne jamais une guerre, dit-il »).
Mais c’est surtout un beau roman d’initiation qui montre le parcours d’un jeune garçon et son amitié pour un vieux gardien de phare illettré. Dans son enfance, le jeune garçon et sa mère ont été sauvés d’un naufrage par cet homme; il tente de le retrouver, puis de se faire accepter par ce solitaire bourru qui ne trouve de joie que dans le dessin et la compagnie des oiseaux. Il y parvient en partageant les passions de son ami,  le dessin et le soin d’un macareux blessé.
Le livre est plein de ressorts captivants pour les jeunes lecteurs (et pour les autres) : des histoires de destins croisés, la vie d’un enfant orphelin de père, proche du Petit Lord, un élève pensionnaire malheureux, un soldat désabusé, puis un jeune homme sûr de lui et de sa place dans le monde.
Les aquarelles de Benji Davis sont magnifiques, tantôt rugueuses, tantôt suaves, et rythment le récit tantôt en vignettes, tantôt en pleine page ou même en double page à fond perdu, nous plongeant dans un univers de vent et de fraicheur.
Cet album a été écrit à la mémoire de Allen Lane, le fondateur des éditions Penguin, et des collections Pelican (pour les essais) et Puffin (alias macareux) pour les enfants.

 

Le berger et l’assassin

Le berger et l’assassin
Henri Meunier, Régis Lejonc (ill.)
Little Urban, 2021

Bella ciao

Par Christine Moulin

L’objet, d’impressionnantes dimensions (29 cm x 36 cm), provoque l’admiration immédiate: c’est un livre (magnifiquement) illustré, plus qu’un album au sens strict car il n’y a pas d’interactions entre les pleines pages qui déroulent de splendides paysages de montagne (situés en Haute-Savoie) et le texte, qui pourrait se lire et se comprendre sans les images.
Ce texte propose un récit (au passé simple, ce qui devient rare, de nos jours): est-ce une nouvelle? Sans doute.
Le démarrage est foudroyant. Dès le premier paragraphe, une simple incise accroche le lecteur: « Je ne suis pas ton ami, grogna l’assassin. » On comprend assez vite qu’il va s’agir de la confrontation entre un berger, « l’homme du milieu », comme il se définit lui-même et un homme qui fuit des milices fascistes (italiennes, comme l’indique l’allusion aux chemises grises). Le berger recueille « l’assassin », soigne ses blessures, lui fournit une grotte comme abri en attendant de pouvoir, au début de l’automne, lui faire franchir la montagne dont il dit pourtant: « Qui que tu sois, la montagne est plus dangereuse que toi. » Après avoir subi une attaque des milices, qui tabassent le berger mais ne trouvent pas l’assassin, les deux hommes se mettent en route pour passer « de l’autre côté ». On suit leurs efforts.

La fin est éblouissante et s’élève vers une réflexion humaniste et philosophique saisissante. Elle est à l’image du récit dans son ensemble, fait de non-dits d’autant plus terribles et émouvants qu’ils sont à l’unisson des personnages, taiseux, pudiques, dignes et sublimes, complexes aussi. Ce qui n’empêche pas que les dialogues soient émaillés des belles réflexions philosophiques du sage berger: « Nous allons, tous liés en cordée. De petits pas à petits pas, de vertige en vertige, l’humanité se tient dans l’ascension comme dans la chute. » Un album quasi hugolien.

Pourquoi les lapins ne fêtent pas leur anniversaire ?

Pourquoi les lapins ne fêtent pas leur anniversaire ?
Antonin Louchard
Seuil jeunesse, 2021

Métaphysique des terriers

Par Anne-Marie Mercier

Revoilà Zou, le petit lapin qui avait permis à Antonin Louchard de répondre à la question Pourquoi les lapins ne portent pas de culotte ? (Seuil, 2016); il est présenté ici pour répondre à une autre question plus cruciale, et même existentielle
Un beau jour d’automne, notre héros quitte sa famille et le village de Cucuron, dans les environs de Lourmarin, pour découvrir le monde et vivre des aventures. Sauvé de la noyade par des castors, mis en quarantaine par une tribu de lapins traumatisés par la mémoire d’une épidémie, soumis à un interrogatoire devant le grand Bagadou et l’ordre des Carottes bleues qui dirigent cette secte, il parvient à s’échapper et à repartir vers le vaste monde pour remplir de belles découvertes et d’aventures les quelques mois qui lui restent : un lapin sauvage ne vit guère plus qu’un ou deux ans, nous dit l’auteur, d’où le titre.
Ainsi, Antonin Louchard met à portée des jeunes lecteurs le dilemme d’Achille : vaut-il mieux vivre longtemps, obscur, une vie un peu plate ou bien mourir jeune après une vie bien remplie ? Zou, comme Achille ont choisi la vie brève.
On trouve aussi dans cet album des échos de Watership Down de Richard Adams (Monsieur Toussaint, 2020) qui met en scène des lapins dans une histoire qui tient de l’épopée, plus proche d’ailleurs  de l’Énéide que de l’Iliade : on y voit également une secte de lapins coupés du monde qui choisissent la servitude pour obtenir une illusion de sécurité et s’engourdissent eux aussi dans une religion hypnotique.
Mais Antonin Louchard est aussi un artiste illustrateur et ses dessins inimitables sont des merveilles d’humour et de vivacité et la tristesse induite par la réponse à la question qu’il pose s’évanouit devant la beauté du monde et de l’aventure.

La Très Grande Aventure

La Très Grande Aventure
Anne Cortey, Olivier Latyk
Grasset jeunesse, 2021

Légumes en folie

Par Anne-Marie Mercier

Des héros peu ordinaires (ou au contraire si ordinaires que le statut de héros pose question) partent à l’aventure : un petit pois et un haricot, une fourmi.  Ils ont des noms qui évoquent l’Italie (Marcello, Nanni, et ils se font une amie, Monica la fourmi), c’est donc tout naturellement qu’ils trouvent une Vespa dans le ventre du coq qui les a avalés.
Arrivant à sortir de leur prison où ils n’étaient pas si mal, occupés à jouer au foot, comme Jonas ou Pinocchio sont sortis de leur baleine,  les voilà partis en vespa vers l’aventure, et elle sera très grande : échappant aux menaces des végétariens, aux voitures, aux vélos… et encore au coq qui les a rejoints, ils s’envolent grâce à l’aide de Monica, à sa carte routière et à son deltaplane pliant et arrivent sur le lieu de toutes les belles aventures, une île.

Tout cela est totalement et joyeusement farfelu et les images sont à l’avenant, ne reculant devant aucun défi (comme mettre des lunettes à un haricot, représenter l’intérieur d’un coq où l’on peut jour au foot, et donner une expression joyeuse à un petit pois…) : tout est possible !

 

Balto, t. II : Les Gardiens de nulle part

Balto, t. II : Les Gardiens de nulle part
Jean-Michel Payet
L’école des loisirs (medium), 2021

Polar historico populaire chez les Ruskofs

Par Anne-Marie Mercier

Placé sous le patronage de Gustave Lerouge (ou Le Rouge), voilà un beau roman populaire du XIXe siècle, situé dans les années 1920 et écrit XXIe siècle. On y retrouve  des ingrédients classiques, déjà présents dans le premier volume (Le Dernier des Valets-de-coeur) : le personnage de l’orphelin, de l’enfant adopté (multiplié ici par le nombre d’adolescents du même orphelinat poursuivis par un tueur au mobile mystérieux), le couple homme d’action – journaliste, le couple Belle et clochard, la quête des origines. Si le premier volume nous plongeait dans un mystère né de la guerre de 14-18, le second en évoque un autre, célèbre, celui du destin des derniers souverains de Russie.

Roman historique également, ce volume nous plonge aussi bien dans le milieu des Russes blancs exilés, au cœur de l’atelier de Coco Chanel, rue Cambon, avec son annexe de broderies Kimir, et dans le milieu de la galerie du marchand d’art Kahnweiler, mais aussi dans le monde des « barrières », la banlieue de Paris au-delà des « fortif’ » où Blato vit dans une roulotte – comme beaucoup de ses amis.
C’est aussi un roman policier rondement mené, avec un couple mixte (garçon et fille) de jeunes détectives et un policier sourcilleux, presque un roman sentimental (le cœur de Balto est le lieu d’émois et d’hésitations propres au roman d’initiation, mais reste très chaste). Tout cela est parfaitement organisé, entrelacé et écrit : passionnant.

Odyssée

Odyssée
Peter van den Ende
Sarbacane, 2021

Tour du monde sans escale

Par Anne-Marie Mercier

Un format adapté et 96 pages, voilà de quoi déplier un beau voyage imaginaire, sans texte, mais avec de nombreuses péripéties. Peter van den Ende propose une succession d’images en noir et blanc, tracées à l’encre et ombrés de multiples dégradés de gris. Elles se déploient sur chaque double page, proposant à chaque tourne de page un moment différent, avec de nouveaux lieux et de nouvelles rencontres fantastiques.
L’Ulysse de ce voyage semble être un petit bateau de papier, issu d’un pliage fait moitié par un diable cornu, moitié par un humain ordinaire ; ou bien serait-ce l’ombre qui s’en extrait à la fin du livre, un génie maritime élégant ? Le petit bateau fragile est ballotté en tous sens, rencontre de nombreux obstacles, part dans les airs, plonge au fond des abysses. Une carte en fin d’ouvrage montre le trajet parcouru, comme dans les éditions de l’Odyssée d’Homère, mais avec un monde plus vaste, du Pacifique au Golfe persique, de l’Antarctique à l’Écosse, doublant le Cap Horn et le Cap de Bonne espérance. Mais cet ancrage dans le réel est bien sûr fantaisiste : à travers lui, c’est surtout l’univers mythique de la mer que l’on rencontre, avec ses monstres, ses plantes, ses machines étranges aussi. Chaque page est pleine de détails curieux, drôles ou inquiétants. En somme ça vit, ça coule, c’est merveilleux.
On peut voir quelques images sur le site de l’éditeur.

Peter van den Ende est aussi, dans une autre vie, guide naturaliste sur les îles Caïman. La précision de son trait en témoigne. Odyssée est son premier album, fruit, on le devine, d’un long travail.

 

L’Attente

L’Attente
Maïa Brami, Clémence Pollet
HongFei, 2021

Aventure immobile

Par Anne-Marie Mercier

L’attente est un sujet difficile à traiter (à moins de suivre l’exemple de En attendant Godot); on pourrait le croire impossible en littérature de jeunesse où l’on imagine souvent qu’il faut absolument de l’action et des aventures pour intéresser le jeune lecteur. Pourtant, l’enfance est bien un moment où l’on attend beaucoup, et où l’espoir est roi.
Le personnage de ce livre est tout de même un aventurier plongé dans une nature sauvage, et il poursuit un rêve : voir un oiseau de paradis. Il ne s’agit pas de le capturer, ni de le photographier, mais juste de le voir et de s’assurer ainsi de l’existence de cet oiseau de légende. Voilà une belle situation métaphysique. L’oiseau apparait à la fin, décevant, puis se révélant : l’explorateur, désappointé par sa première apparition, l’a-t-il enfin vu sous cette dernière forme ? on ne le sait pas.
Les illustrations de Clémence Pollet, en trois couleurs où différents tons de vert et d’orange dominent, décrivent par elles-mêmes les différents aspects de l’attente : progression, répétition, régression… La monotonie du décor, les yeux hallucinés de l’explorateur derrière ses jumelles, la déconstruction du paysage de jungle qui accompagne son délire et enfin la vision finale de l’oiseau en parade, sont autant de grands moments de cette histoire qui est bien une aventure, finalement.