Gueule de loup

Gueule de loup
Sarah Cohen Scalli
Archipel 2010, Poche, 2012

 

Effrayant !  

Par Maryse Vuillermet

 

gueule de loup imageGueule de loup, c’est le nom d’une fleur retrouvée sur chaque cadavre d’enfant enlevé et tué par un serial killer. Cette fois, c’est le fils de Jean qui est enlevé, mais Jean n’est pas un père comme les autres ; il est policier,  spécialiste des  stupéfiants et il est divorcé, séparé de son fils qu’il adore et à qui il raconte constamment ses affaires de flic. Jean décide  alors de mener l’enquête, même s’il n’en est pas chargé. Par erreur, il avale des pilules bleues,  réquisitionnées auprès d’un jeune junkie qu’il a protégé, il tombe  alors dans une sorte de coma,  et il s’aperçoit que sous l’emprise de cette drogue, pendant ce sommeil forcé, il est en contact avec son fils, dans une sorte de lien télépathique.

S’en suit une enquête assez troublante en compagnie de l’étudiant ex-junkie qui a expérimenté  le premier ses pilules, en fait une drogue de substitution expérimentale.   Les deux hommes vont mener une  double enquête  totalement hallucinée, dans le monde des fabricants clandestins de drogue et pour retrouver le fils de Jean.  Pressé par le temps et désireux de retrouver ses visions, Jean prend de plus en plus de pilules bleues au risque d’en mourir,  et entre deux prises, il est dans un état de manque insupportable.  On ne sait jamais s’il est fou ou si  cette drogue a  vraiment ce pouvoir d’activation des neurones. Le personnage de Djamel, le jeune junkie, est intéressant parce lui,  sous l’emprise de la drogue,  est devenu  un écrivain de polars, dans un   jeu de miroir assez bien mené.  L’histoire est pleine d’invraisemblances mais on se laisse prendre à ces deux personnages attachants, à la  cruauté de l’affaire,  et on va jusqu’au bout, emporté par un suspens bien maîtrisé.

Kill all enemies

Kill all enemies
Melvin Burgess
Gallimard jeunesse (scripto), 2012

Metallica comme un havre de paix

Par Anne-Marie Mercier

C’est d’abord Billie qui prend la parole. Le lecteur francophone met un peu de temps à comprendre que ce personnage violent est une fille. En décrochage scolaire, placée en foyer, elle vit sa dernière chance avant le centre fermé pour adolescents. Puis c’est au tour de Rob, un garçon un peu trop enveloppé, qui adore sa mère, est martyrisée par son beau-père et par les autres élèves de son collège. Il n’a qu’une passion dans la vie, la musique « metal ». Chris à une vie plus normale, il vit avec un père et une mère aimants et soucieux de son avenir mais il refuse depuis plusieurs années de rendre des devoirs écrits. Ces trois adolescents en échec scolaire vivent tout au long du roman des événements de plus en plus graves qui les conduisent à se retrouver ensemble dans un centre ouvert pour adolescents difficiles. A ces points de vue alternés qui se succèdent d’un chapitre à l’autre s’ajoute celui d’une éducatrice qui suit Billie depuis longtemps; sa perspicacité lui permet de comprendre ce que vivent les deux garçons alors que leur entourage est aveugle. D’abord ennemis, les trois adolescents s’unissent enfin pour un happy end dans lequel la musique « metal » joue un grand rôle, celle du groupe dont le nom a donné le titre du livre.

Melvin Burgess, connu pour ses romans qui dépeignent de façon crue les excès adolescents, a enquêté dans un centre pour élèves délinquants exclus de leurs établissements scolaires (voir son blog) et il propose une vision de l’école assez manichéenne : le collège des trois adolescents est incapable de les prendre en charge, méconnaît totalement la situation familiale dans laquelle ils se trouvent, ou, dans le cas de Chris, ne peut pas diagnostiquer la raison de son refus de l’écrit. À l’inverse, les éducateurs du centre sont présentés comme des professionnels dévoués, soucieux de rester des professionnels tout en développant pour ces enfants perdus une réelle affection.Sur son site, l’auteur explique qu’il a découvert dans cette enquête que ces adolescents n’étaient pas des losers mais des héros : ils ont d’autres soucis que ceux de l’école, des soucis graves, et sont pénalisés pour cela au lieu d’être aidés.

Entre violences scolaires et violences familiales – aussi bien psychiques que physiques – les personnages se débattent et se battent, ou sont battus. Ils sont des êtres désemparés qui s’accrochent à la moindre lueur d’espoir. Le paradoxe est que c’est un groupe de musique « métal » qui s’avérera être un lieu de douceur, de respect et de courtoisie. Le roman est un puzzle qui se construit peu à peu, entre terreur et errance, c’est un tableau dur et bouleversant d’adolescents en crise, malmenés par la vie.

 

 

Yakoubwé

Yakoubwé
Thierry Dedieu
Seuil jeunesse, 2012

Je suis mon lion 

Par Christine Moulin

YakoubwéOn se souvient sûrement de Yakouba, ce jeune homme dont le courage avait consisté  à refuser de paraître courageux,  à braver l’opprobre, pour rester juste et généreux. Le revoici. Il lui arrive quelque chose de terrible: Kibwé, son ami lion, est tué par les hommes de sa tribu (Kibwé qui avait eu, lui aussi, droit  à son album).

Sa souffrance est de celles dont on ne peut pas donner la mesure: c’est pourtant ce que Thierry Dedieu parvient à faire, par les mots et les traits qu’il crache sur la feuille. L’histoire, sauvage, se contente, au fond, d’expliquer le titre, qui unit Yakouba et Kibwé. Elle a la simplicité d’une tragédie et parle pour toutes les douleurs injustifiables que provoque l’esprit de vengeance. C’est un conte de désolation et de mort, mais aussi d’apaisement, qui nous ramène aux premières lignes de la première histoire, celle de Yakouba, nous signifiant que derrière l’impression d’éternel recommencement, gît peut-être la possibilité de refuser la fatalité de la violence.

Et l’on emporte en soi le magnifique regard de l’ami lion.

 

La cabane au fond du chantier

La cabane au fond du chantier
Christian Roux
Syros, 2012, Collection Souris noire

Construire, déconstruire

Par  Maryse Vuillermet

 

 

Le narrateur vient de perdre son père et sa mère n’arrive pas à s’en remettre. L’histoire se passe dans les années 70, la vie est encore assez paisible dans les banlieues,  si l’on se tient éloigné de la drogue et de l’alcool. La barre Guillaume Apollinaire, où habitent Thierry, sa famille et tous ses amis doit être détruite et remplacée par des immeubles plus jolis et plus petits. Ses habitants sont désemparés. Un immense chantier se met en place tout près, sur un terrain vague.  Thierry  est fasciné par cet espace  ouvert  et a  soudain l’idée d’aller y construire une cabane pour rêver,  faire des fêtes, avoir un projet…  Le gardien, Alban,  bienveillant, au début,  les aide   et puis, un jour, il change brusquement d’attitude et leur interdit l’accès du chantier. Thierry, avec son amie Marine va faire le guet pour comprendre ce qui se trame dans ce chantier, pourquoi le chien d’Alban a disparu et ce que vient y faire le frère de  Soufia, Méziane,  censé être en prison.

 Ce court roman est un mélange entre roman social, qui dénonce les violences familiales (le père de Marine la frappe) le début des gangs de la drogue,   et célèbre la solidarité des habitants de la cité, l’amitié de la bande,  et « le genre  club des cinq revisité ».  En effet, Thierry et sa bande vont mener l’enquête et avec intelligence et  courage  et vont réussir.

Quelques minutes après minuit

Quelques minutes après minuit
Patrick Ness

Traduit (anglais) par Bruno Krebs
Illustrations de Jim Kay
Gallimard jeunesse, 2012

Lumière noire

Par Anne-Marie Mercier

Siobhan Dowd, dont L’étonnante disparition de mon cousin Salim vient de sortir en poche, n’a pas eu le temps d’écrire cette histoire dont elle avait eu l’idée et que Patrick Ness a écrite en lui rendant hommage. Elle est décédée prématurément d’un cancer et ce livre pourrait être un vade mecum laissé à un enfant qui aurait vécu la maladie de sa mère sans supporter le regard des autres ni sa propre culpabilité, son impatience et sa colère. Mais Patrick Ness ne traite pas cette histoire comme une leçon ou un récit de vie mais en fait une œuvre véritable, superbe, très noire et poétique.

Le jour, Conor subit les brimades de brutes  de son collège, il enrage de ne plus exister véritablement aux yeux des autres, de ne voir son père, divorcé qu’à la sauvette, de cohabiter avec sa grand-mère venue s’installer à demeure pour soigner sa fille. La nuit, le jeune garçon fait un cauchemar récurrent : l’if qui fait face à sa fenêtre s’anime sous une forme monstrueuse et s’adresse à lui, pénètre dans sa chambre, le tourmente, cherche à lui arracher son secret. Une nuit, il lui annonce qu’il va lui raconter trois histoires en le prévenant :
– Les histoires sont les choses les plus sauvages de toutes, les histoires chassent et griffent et mordent.
– ça, c’est ce que les profs racontent. Mais personne ne les croit non plus.
– et quand j’aurai terminé mes trois histoires, tu m’en raconteras une troisième. […] et ce sera la vérité. Ta vérité […] celle que tu te caches, Conor O’Maley, est la chose que tu crains le plus ».
– Et si je ne le fais pas ?
– Alors, je te dévorerai vivant.
Chaque histoire pousse un peu plus Conor dans ses retranchements. L’if entre dans la vie diurne et accomplit des actes de plus en plus violents dont Conor réalise après coup que c’est lui-même qui en est l’auteur, sombrant dans des épisodes de folie tandis que sa mère agonise. Pas de happy end, sinon celui d’un retour à la présence à autrui : la grand-mère dure et meurtrie, l’amie stupéfaite et incomprise sont merveilleusement traitées. Conor avance jusqu’à la crise finale vers l’acceptation de ses émotions et de ses sentiments. Il se libère en disant enfin ce qui est resté enfoui en lui. Dire la vérité, se regarder soi même en face, pouvoir raconter sa propre histoire et faire face, telle est la leçon de l’arbre noir.

Les encres de Jim Kay, superbes, sobres et noires, accompagnent ce récit hanté et ancré dans le réel. Sans en faire un traité ni une leçon, P. Ness montre toutes les formes de la souffrance à travers son personnage et pose la question de la part de responsabilité de chacun dans son malheur. Il dit des choses très justes sur la solitude de ceux qui souffrent.

Au moment où tant de romans montrent des enfants face à la maladie de proches sans jamais entrer dans le cœur de la noirceur, celle de l’intériorité des êtres, Patrick Ness réussit le tour de force de proposer une fable fantastique plus vraie que tout ce qu’on peut lire. On retrouve sa capacité à utiliser les genres comme le fantastique et la science fiction (voir son magnifique cycle du Chaos en marche) pour toucher au cœur des émotions et de la vérité humaine. Ce livre qui tient en haleine, beau et juste, va au bout de la noirceur et il en sort une lumière qui ne doit rien à l’artifice et à la facilité : quel changement ! (voir chronique suivante)

Il va venir

Il va venir
Marcus Malte

Syros (souris noire) (2005), 2011

Attendre le pire

Par Anne-Marie Mercier

 Sous ce titre énigmatique qui évoque une rédemption ou une attente heureuse, se cache un roman d’angoisse. C’est aussi un roman de neige et de solitude. Celle du jeune narrateur est profonde mais l’expérience qu’il vit lui montre qu’on peut toujours tomber plus bas encore. L’adolescent vit avec une vieille femme qui attend désespèremment le retour d’un fils, ce n’est pas le fils qui vient, mais un inconnu… L’écriture de Marcus Malte est belle et efficace.

 La collection souris noire qui avait publié ce roman en 2005 le republie sous sa nouvelle maquette. Ce changement d’apparence fait que la collection n’évoque plus dorénavant la collection « noire » adulte. C’est un peu dommage, même si l’image de couverture est belle (signée J. Meyer Bisch)… au fait, on a l’impression de l’avoir vue quelque part…

 

 

 

 

Le faire ou mourir: Variations sur les modes de la Terreur adolescente

Le faire ou mourir
Claire-Lise Marguier

Rouergue (doAdo), 2011

Variations sur les modes de la Terreur adolescente

par Anne-Marie Mercier

Claire-Lise Marguier,collège,violence,gothique,homosexualité,scarfications,solitude,amitié,  Rouergue (doAdo), Anne-Marie Mercier   Ce premier roman, malgré sa thématique très ancrée dans l’actualité sociale, surprend – en bien – à plus d’un titre. Écrit à la première personne de façon sobre, son ton peut parfois se révéler lyrique, parfois exacerbé. En phrases courtes, pressées par l’angoisse ou l’exaltation, il raconte plusieurs histoires.

Dans un premier temps c’est l’histoire d’un garçon fragile et sensible, souffre-douleur des cours de récréation, négligé par sa famille, moqué pour ses larmes et ses terreurs d’enfant. Maltraité par une bande, il est sauvé par une autre et s’y agrège avec l’impression d’avoir enfin trouvé un lieu où exister. Que les uns soient des skateurs et que les autres soient des gothiques est assez anecdotique sur le fond mais les réactions des autres aux apparences sont décrites de façon intéressante. On explore donc ici avec beaucoup de pertinence la question de l’appartenance à un groupe, une « bande ».

Dans un  deuxième temps, c’est l’histoire de l’amitié entre Damien et Samy, une amitié dans laquelle la dimension physique devient de plus en plus importante. Comme cela est dit explicitement dans le roman, ce n’est pas la question de l’homosexualité qui est traitée ici, mais c’est le portrait d’un amour. L’auteur nous raconte une belle histoire, avec pudeur et beaucoup de sensibilité. Damien le Solitaire et le muet découvre en Samy un « gothique » solaire, à la fois libre et rattaché, à l’aise avec ses parents, à l’aise avec son corps, à l’aise avec les mots, tout ce qu’il n’est pas.

Dans un troisième temps, le lecteur découvre le profond malaise de Damien qui se scarifie, pour éviter d’exploser, par plaisir, pour se sentir exister, tout cela à la fois et d’autres choses encore. Les violences qu’il s’inflige ou qu’il subit, physiques ou psychologique, au collège ou en famille, l’incompréhension de son père, la distance de sa mère, son incapacité à dire, tout cela fait un mélange explosif qu’il ne désamorce, provisoirement, qu’en faisant couler son propre sang.

L’auteur nous propose deux fins possibles. L’une, saisissante, est terrifiante, catastrophique. La deuxième, qui imagine un futur possible à Damien, est réconfortante. Certains voient cette double proposition comme une facilité. J’ai apprécié ce non-choix: il montre que ce n’est que de la fiction. Il montre aussi ce que cette fiction dit du réel: on ne peut fermer le livre sans un sentiment de terreur devant l’idée qui sous-tend ces deux propositions, qu’il suffit de si peu pour faire basculer tant de vie vers tant de mort.

Il est rare que des questions comme celles de la violence scolaire et familiale,  de la mode du « gothique » et de la pratique des scarifications soient abordées dans une fiction qui les éclaire de l’intérieur avec autant de cohérence et de compréhension. Il est rare également qu’un roman soulève autant de questions sociales sans jamais cesser d’être… un roman : ici, le parcours de personnages auxquels ont croit et auxquels on s’attache.

Le signe de K1 (le temps des Tasahdiks)

Le temps des Tsahdiks (Le signe de K1, tome 2)
Claire Gratias

Syros, 2011

Le passé a-t-il un avenir ? ou inversement…

par Christine Moulin

science-fiction, violence, paradoxe temporelVoici donc la suite du premier volet. Le suspens reste haletant et revient à la question si souvent posée : comment sauver l’humanité ? La réponse ne peut, bien évidemment, être donnée ici mais disons que la lutte entre l’ombre et la lumière continue, à l’échelle collective aussi bien qu’individuelle : le comportement de Pauline, l’héroïne, en est le signe. On retrouve les allusions à notre propre société, toujours percutantes : la violence augmente de jour en jour, telle une épidémie ; la police est dépassée ; le système d’enseignement est gangrené par la sélection et l’élitisme ; notre Terre est menacée par une catastrophe climatique.

On retrouve les clins d’œil culturels bien venus (K1 = Caïn1 ; le père du héros s’appelle Adamsohn, fils de l’homme, autrement dit). Toutefois, l’intrigue, plus dispersée entre les personnages, n’arrive pas à recréer l’atmosphère mystérieuse du premier volet : on a davantage affaire à un roman d’aventure, fort bien écrit, très nerveux, grâce une forme de « montage » alterné très efficace. Mais l’histoire d’amour, moins centrale, perd de son charme. L’aspect philosophique s’estompe, le personnage du sage chinois étant moins présent. Même l’initiation d’Angelo (le « cas » du tome I, qui est devenu, comme le titre l’indique, Tsahdik) manque un peu de profondeur et d’originalité.

Cela dit, ne boudons pas notre plaisir : l’ensemble est cohérent (ce qui n’est pas toujours facile dans ces histoires de paradoxe temporel), le rythme soutenu et le « message », si «message» il y a, à la fois réaliste et optimiste. Voilà ce que c’est d’avoir trop réussi le premier volet !!

 (1) Je sais… cette allusion-là aurait pu être relevée dès le premier tome ! Disons qu’elle est plus nette et plus motivée dans le deuxième!…

Sans la télé

Sans la télé
Guillaume Guéraud

Rouergue (doAdo), 2010

« Fils de films » (S. Daney) 

Par Anne-Marie Mercier

sanslatélé.gifGuéraud, bien connu pour ses textes chocs qui dépassent les limites habituelles de ce que peut dire un texte pour jeunes lecteurs (Je mourrai pas Gibier, Va savoir comment…), livre ici des souvenirs d’enfance. Il ne s’agit pas de toute sa vie (même s’il y a des fragments sur la famille, la vie en général, les amis  et les amours), mais de son éducation par les films.

Sa famille ne possédant pas de télé, refusant d’en avoir, il est d’abord un enfant qui se sent coupé de ses contemporains qui ne parlent et ne pensent que par elle. On a ainsi un beau panorama de ce qui se dit en cour de récréation au temps de GoldorakTom Sawyer (le dessin animé), Dallas… et de l’aliénation qui s’ensuit. En revanche, très tôt, il va au cinéma. Dans ce livre, on trouve d’abord une liste des plus grands films qui en ont fait l’histoire, dans tous les genres, les Charlot, des western, mais aussi  Annie Hall, Allemagne année zéro, Le voleur de bicyclette, film qui déclenche des larmes parce que « ce film ne montre rien d’autre que la vie telle qu’elle est ».

L’adolescence venant, au portrait nostalgique des années d’enfance et d’une innocence dans une société paisible et fraternelle qui évoque l’album  Avant la télé de Yvan Pommaux, succède un tableau beaucoup plus noir. Il englobe le monde tel qu’il est ou tel qu’il devient  (la montée terrible des trafics et de la violence dans sa banlieue), ses rapports dégradés avec les autres, son rapport à lui-même, et les films de plus en plus violents qu’il va voir, seul ou accompagné : L’exorciste, M. Le maudit, Les Griffes de la nuit… avec un malaise qui grandit, jusqu’à certaines étapes marquées par des films qui agissent comme des révélateurs : Les Désaxés (« je comprends que je vis dans un monde où les chiens mangent les chevaux. Je comprends que les jours se succèdent en se dégradant. Je comprends les envies de révolte et la nécessité des révolutions. Faudrait que tout explose »), et enfin, au bord de la route, Scarface , avec son « déferlement de violence gratuite », qui agit comme un électrochoc bénéfique : « Comme si tout se défroissait. Je me calme ».

La sobriété domine le texte malgré le contenu : il est fait de séquences brèves, de courts chapitres de deux à quatre pages, toutes orientées autour d’un film (dans  deux cas Guillaume n’a pas vu le film, mais la séance de cinéma reste un horizon). Magnifiquement écrit, avec retenue, sans aucun pathos, mais en faisant entrer dans la conscience d’un enfant émerveillé par les images puis d’un adolescent écorché et désespéré, c’est un très beau livre sur le cinéma et ses effets, aussi bien intimes que culturels et sociaux. C’est aussi un agréable « je me souviens » : chaque texte est suivi de répliques cultes ou d’un commentaire  de metteur en scène sur le film évoqué. Enfin c’est un beau témoignage sur une adolescence « difficile » et un bel éclairage sur la formation d’un auteur important sinon consensuel dans la littérature de jeunesse française actuelle. Ames « sensibles », bien sûr, s’abstenir. Les autres se régaleront.