Zelda et les évaporés

Zelda et les évaporés
Florence Aubry,
Rouergue, 2019

 Enquête sur des disparitions et travail sur soi  

 Maryse Vuillermet

Zelda est une jeune fille assez insupportable, voire détestable.  Égoïste, cynique, manipulatrice, cruelle avec ses camarades et même sa propre famille, elle est médiocre à l’école et ne se passionne que pour les méchancetés qu’elle peut faire aux autres.

Cependant, à la suite de la disparition d’Antoine, un jeune qu’elle a humilié lors d’un été de vacances, elle s’intéresse à un sujet, celui des disparus, peut-être parce qu’elle aussi en a envie, elle se demande comment on peut faire pour partir et tout laisser derrière soi, sans donner de nouvelles. D’autant plus que Clément qui habitait à côté de chez elle a disparu aussi mais, le plus étrange, c’est que lui est en fauteuil roulant.

Parallèlement à l’histoire de Zelda, un autre récit avance, celui de Tom qui est parti, un soir d’inondation, sans vraiment démêler en lui toutes les raisons de sa fugue.

Un roman qui laisse un peu sur sa faim, dans la mesure où, sur un sujet intéressant, l’intrigue est un peu trop fabriquée.  Trois disparitions d’ados autour de la même fille, c’est peut-être un peu trop comme élément déclencheur !

 

 

Félines, Stéphane Servant

 Félines  
Stéphane Servant,
Rouergue, 2019

 

 Puissantes métamorphoses

 Maryse Vuillermet

 

 

 

Une, puis plusieurs jeunes filles de la ville subissent une étrange métamorphose, leurs corps se couvre de poils, leurs sens s’aiguisent, leur force se décuple et parfois, une violence sauvage les déborde.

Passée la stupeur, certaines se cachent à leurs proches, ne viennent plus au collège, d’autres l’assument. L’une d’elles, Louise, la narratrice, revendique son étrangeté et la vit même comme une richesse.

Un parti politique extrémiste appelle à la haine de ces créatures. Certaines décident d’entrer en résistance, elles organisent même une manifestation et s’appellent désormais les félines. Le gouvernement met en place des mesures pour les contrôler et les enferme dans un camp de travail.

Le roman est déroutant au début, on a du mal à croire à cette métamorphose mais peu à peu, on est envoûté par cette porosité des frontières entre monde animal et monde humain, on est horrifié par l’intolérance et la violence des « normaux », et on devient admiratif de la solidarité et de l’intelligence de groupe des félines

Un roman très fort qui pose de déroutantes questions sur notre identité humaine, et sur notre rapport à l’animal.

Décidément, Stéphane Servant poursuit une oeuvre originale et puissante.

 

Voyage au pays des contes

Voyage au pays des contes
Alexandra Garibal – Camille Garoche
Casterman 2019

100 fenêtres sur les contes

Par Michel Driol

Suivons le guide, Ferdinand Croquette, assistant du vieux bibliothécaire. Il nous emmène successivement devant un château, dans une galerie de portraits, dans le potager des fées, à la rencontre de créatures fantastiques ou diaboliques, dans le repaire de la sorcière, dans un village, dans la boutique des sorcières, et enfin dans une salle de bal. A chaque double page, on retrouve le même dispositif : quelques mots de Ferdinand Croquette, à la façon d’un guide touristique, et des fenêtres à ouvrir qu’il commente, où qui servent de prétexte à questionner le lecteur.

L’album se présente comme une véritable encyclopédie amusante des contes, suscitant par l’ouverture des fenêtres cachées ici ou là la participation du lecteur. On croise, au fil des pages, des accessoires, des personnages, des situations tirées de nombreux contes populaires (de Raiponce au Chat Botté…) sans oublier d’autres « contes » plus contemporains (Peter Pan ou Pinocchio). Le monde représenté ne manque pas d’humour, et les rabats cachent bien des surprises.

Le jeune lecteur est confronté à toute la magie merveilleuse des contes, à leur univers, et il peut  ainsi soit retrouver des héros dont il connait déjà l’histoire, soit en découvrir d’autres.

Folk, épisode 1

Folk, épisode 1
Iris
La Pastèque, 2018

 Western faustien

Par Anne-Marie Mercier

Jug est un raté, un soulard, un nul répugnant dont personne ne veut, même dans le village perdu de l’ouest américain où il vit. Il y est un pilier du saloon et le concierge de l’unique hôtel. Un spectre lui propose un pacte : il lui accorde le don de la musique et du chant ; s’il arrive à réunir d’autres excellents musiciens et à parvenir au grand studio d’enregistrement, il deviendra riche et pourra réaliser tous ses rêves…
Le parcours est jalonné de rencontres loufoques et Jug s’avère être un héros de plus en plus anti-héros. Le résultat est un mélange curieux et drôle, mais aussi un hommage aux débuts du folk américain, né sur la route, pour ce premier épisode (à suivre…).

Monts et merveilles

Monts et Merveilles
Juliette Binet
Rouergue 2019

Recréer le monde ?

Par Michel Driol

Cet album sans texte introduit le lecteur la maison d’un jeune couple. Passe la porte une espèce d’immense paquet rose, informe, qui s’avère être rochers ou montagnes. Puis l’homme et la femme repeignent de bleu les murs gris, gonflent des ballons géants qui deviennent collines vertes. Un rouleau de papier bleu, et voici un ruisseau ou une route. Un autre rideau multicolore en arrière-plan, de paravents sur lesquelles elle cloue des étoiles. Ne reste plus qu’à contempler cet univers, passer la nuit… Et découvrir qu’au matin des plantes poussent, des lapins surgissent dans un nouvel Eden où se promènent l’homme et la femme.

L’album invite à un trajet, à un voyage poétique qui va de l’intérieur de la maison à l’extérieur, par la métamorphose complète de l’univers familier de la maison. De quelle maison s’agit-il ? Celle propre à ce jeune couple, ou notre terre, notre maison commune ? Monts et Merveilles n’enferme pas le lecteur dans une interprétation, mais lui ouvre un univers imaginaire et onirique, où tout peut se transformer, où la volonté d’un jeune couple permet de transformer la grisaille ordinaire pour y faire naitre la vie. Chacun pourra, librement, s’emparer des images, de l’histoire, et construire son interprétation. Interprétation esthétique et littéraire, où l’on voit comment les créateurs se réfugient dans leur œuvre qui les sauve (on songe à Comment Wang-Fô fut sauvé de Marguerite Yourcenar). Interprétation plus métaphysique ou mythologique, avec la création par les hommes du paradis terrestre, le jeune couple figurant Adam et Eve au milieu d’un paysage apaisé et apaisant. Interprétation écologique et politique : en se prenant en mains, on peut faire renaitre la vie là où il n’y avait que sécheresse et grisaille (Et l’on n’est pas très loin de Regain de Giono).

Le lecteur va de surprise en surprise, se questionne, rêve à son tour d’un autre monde possible. Le titre de ce riche album semble comme un écho inversé de la chanson Démons et Merveilles des Visiteurs du Soir. Le jeune couple n’est pas statufié comme dans le film, mais fait battre le cœur du monde.

L’Anti-Magicien, t. 4 : l’abbaye d’ébène

L’Anti-Magicien, t. 4 : l’abbaye d’ébène
Sébastien de Castell
Gallimard jeunesse, 2019

« Je suis ton père »

Par Anne-Marie Mercier

Le premier volume de la série de L’Anti-Magicien, annoncée en six volumes, était prometteur, par l’originalité de ses personnages, de son univers et de son intrigue. Les deuxième et troisième volumes, tout en gardant les mêmes qualités, étaient moins denses et ralentissaient un peu le tempo. Le quatrième tome renoue avec un rythme endiablé, des rencontres avec de nouveaux personnages, souvent jeunes comme le héros, des forces inconnues, une complexité géographique et temporelle, des combats épiques…
Le mystère des êtres est au cœur de ce volume, et notamment la complexité et l’ambiguïté des relations de Kelen, avec son père et avec sa sœur. Son père semble prêt à tout pour gagner le pouvoir absolu comme chef de clan et détruire pour cela les porteurs d’ « ombre au noir » dont son fils fait partie. Sa sœur, dotée de pouvoirs magiques qu’il n’a pas, manipule Kelen, tout en l’aidant à de nombreuses reprises. Enfin, les personnages rencontrés sont autant de figure doubles, tantôt ennemies, tantôt amies, laissant le héros à sa solitude et à sa méfiance. L’abbé de cette abbaye est une autre figure paternelle, protectrice et menaçante, sombre comme le père d’un certain Skywalker… Quant au chacureuil, l’animal partenaire acariâtre de Kelen, il condense tout le désir d’union d’un garçon qui peine toujours un peu à accéder à l’âge d’homme malgré des rencontres féminines troublantes : celles-ci le renvoient toutes à son échec.
L’abbaye faite d’ombre est une belle invention, de même que les formes diverses que prend cette « ombre au noir » sur les visages – et parfois sur les corps – de ceux qui en sont porteurs. Les chemins et ponts magiques en sont une autre.  Sébastien de Castell publiant deux volumes par an fait preuve ici d’une très grande créativité et parvient à unir une complexité grandissante avec une cohérence ferme : tiendra-t-il jusqu’au sixième volume ? Kelen arrivera-t-il à maitriser ses pouvoirs ? Retrouvera-t-il celle.s qu’il aime ? Se réconciliera-t-il avec son père sans se perdre lui-même ?… (la suite au prochain).

Evill

Evill, Le destin des Proscrits
Taï-Marc Le Thanh
Romans Didier Jeunesse, 2019

 Diablo 

Par Christine Moulin

[attention, il m’a été impossible de ne pas divulgâcher certains éléments…] Evill est une forme de roman de fantasy qui se déroule presque entièrement outre-tombe, ou plus exactement dans ce no man’s land situé entre le monde des défunts, Esiris, et la Terre des vivants. Les protagonistes en sont des Proscrits (ainsi que l’indique le sous-titre du -sans aucun doute- premier tome de la série): ils ont au dernier moment refusé d’entrer dans ce qui se présentait pourtant comme un Paradis, Esiris donc, et mènent une « vie » harassante où ils sont poursuivis par les Dieux de ce royaume. Parmi ces Proscrits, Evill, le bien nommé (on verra ses rapports avec le Mal), semble avoir un destin unique et privilégié: sinon, ce ne serait pas le héros… Et sans surprise, il doit, ni plus ni moins, sauver le monde. Cela dit, les indices sur son identité sont savamment dispersés tout au long du roman, aiguisant notre intérêt.

Cette trame finalement assez classique se déroule dans un univers surprenant qui a ses lois propres que l’auteur met bien en place: comment les non-morts qui ne sont pas vivants peuvent-ils interagir avec les objets, les êtres de notre planète? Quels sont leurs pouvoirs? Quelle vie sociale peuvent-ils avoir? A cette dernière question, la réponse est plaisante: on retrouve le groupe de copains, un grand classique du roman d’aventures en littérature de jeunesse, mais légèrement modifiée (n’en disons pas plus…). On songe à la troupe qu’a créée Stephen KIng dans sa saga de La Tour sombre: c’est dire que les sentiments sont forts et permettent au lecteur de s’attacher à la petite bande, dont le destin de chaque membre est original et distillé au cours des chapitres.

A cela s’ajoutent deux atouts. Le premier est un mélange des tons et des genres bien venu: se mêlent dans cette histoire fantastique, horreur même, humour, romance, roman familial, roman sur l’adolescence, aventures de super-héros, émotion (le personnage de Chien n’y est pas pour rien!). Le deuxième atout est une action endiablée. Parfois même un peu trop: une bonne partie du récit se résume à des poursuites et des combats dont la narration est vraiment construite à l’image d’un jeu vidéo (la confrontation finale ressemble furieusement à la dernière « instance » où l’on affronte « le boss »). Paradoxalement, cela devient quelquefois un peu monotone.

On peut regretter une écriture parfois abrupte: les révélations ou les précisions qui assurent la cohérence et la « vraisemblance » de l’univers créé par l’auteur sont souvent données in extremis, au fil de la plume. On voit presque les « ficelles » de ce dernier et cela « sort » un peu de l’illusion. Par ailleurs, étant donné le sujet (la vie après la mort, rien de moins, quand même), on aurait aimé que les considérations métaphysiques viennent un peu plus vite et soient peut-être un peu plus « denses ». Il n’en reste pas moins qu’Evill est un roman qui peut sûrement plaire à ceux qui délaisseraient pour quelque temps leur console: ça « dépote ».

Halte à la bagarre !

Halte à la bagarre !
Caroline Pelissier – Virginie Aladjidi  – Illustrations de Kei Lam
Casterman 2020

La communication pacifiste expliquée aux enfants

Par Michel Driol

A qui appartient l’acacia majestueux de la savane ? Il abrite trois amis : un chacal, Nico, un zèbre, Alfred, et un singe, Johnny. Mais un jour, parce qu’il est gêné par les deux autres dans son sommeil, l’un prétend en être l’unique propriétaire. Et les deux autres de revendiquer l’arbre eux-aussi pour eux seuls. Le ton monte, la bagarre éclate, dévastant quelque peu l’arbre. Arrive alors la girafe au grand cœur, Thérésa, qui réfléchit au lieu de parler, et leur propose d’expliquer les raisons de leur colère. Chacun découvre alors pourquoi l’autre tient à l’acacia, et la paix revient.

Voilà une fable qui montre, en action, la communication non violente appliquée à un cas concret. L’album fait le choix de la distanciation, avec des animaux, l’Afrique, une situation bien loin des conflits de cour de récréation ou dans la famille. Les illustrations sont particulièrement expressives pour montrer la montée de la violence. On voit bien qu’il est question de revendiquer pour soi seul un coin de territoire, de ne pas accepter de partager quelque chose. Prendre le temps de réfléchir, apprendre à verbaliser ses émotions, ses sentiments, à mettre des mots sur ce qu’on ressent, voilà une façon d’apprendre à gérer les conflits. Trois pages explicatives, à destination des enfants pour les unes des parents ou des éducateurs pour l’autre, permettent d’aller plus loin.

Un album didactique pour apprendre à gérer les conflits.

 

Fraternidad

Fraternidad
Thibault Vermot
Sarbacane, 2019

Deux Mousquetaires plus un

Par Anne-Marie Mercier

Malgré son titre, Fraternidad est un roman de solitude : celle du héros, Ed, souffre-douleur de ses camarades de lycée et amoureux transi d’une belle qui le regarde à peine, celle de sa sœur, harcelée sur internet par un pervers et incapable (croit-elle) de trouver de l’aide, celle de Selene, jeune polonaise qui rencontre Ed sur la toile et part de Varsovie, seule, pour le rencontrer.
C’est aussi un roman de liberté. Selene se joue des frontières, comme Ed, qui avec elle traverse la Manche dans la tempête en voilier. Tous deux se jouent des conventions et se font parfois un peu voleurs (pas trop mais assez pour que la police s’en mêle). Ed s’échappe souvent de son quotidien de lycéen pauvre ou de barman solitaire pour chevaucher dans la campagne, la nuit. Il s’échappe aussi de son époque en se rêvant poète, mousquetaire, bretteur, et en maniant l’épée avec une grande habileté contre les méchants, volant au secours de jeunes filles en détresse ou rossant ses persécuteurs, enfin, après une longue attente proche de la prostration.
C’est aussi un roman d’une grande liberté, insérant de la poésie dans la narration, parfois en pleine action, et pour dire l’action ; tantôt cette poésie est écrite ou proférée, ou lue (Keats, Mickiewicz) par les personnages, tantôt elle porte la voix du narrateur. On aborde au passage la légende du roi pêcheur, et même le pari de Pascal,  : encore un « connard à lunettes » d’après le troisième larron qui porte la voix du refus de la culture et de l’histoire, mais est finalement gagné par le rêve d’une fraternité héroïque. Roman monstre (plus de 600 pages), mêlant poésie sombre et scènes d’action prenantes, beau style et vulgarité, porté par des personnages anxieux, un suspens qui s’installe progressivement et explose dans les dernières scènes c’est un récit déroutant qui ne ressemble à aucun autre, tout en se plaçant sous le patronage d’un autre roman monstre, celui d’Alexandre Dumas, et la devise de ses mousquetaires : « un pour tous… »

Grand Loup et petit loup, Matuta

Grand Loup et petit loup
Nadine Brun-Cosme
Lu par Laurence Barbasetti, mis en musique par Virgil Segal
Trois petits points, 2019
Matuta
Nathalie Tuleff,
lu par l’auteure, musique de Jean Lucas
Trois petits points, 2019

Livres sonores

Par Anne-Marie Mercier

« Pleins d’humour et de poésie, et toujours un brin décalés : ce sont les titres qu’on aime chez Trois Petits Points. Pour ouvrir en grand la curiosité et l’esprit critique des enfants de 3 à 12 ans ». Les éditions des Trois petits points, installées à Lyon et en partie pilotées depuis l’Allemagne, proposent des « livres sonores », dans lesquels textes et musiques se complètent.
Grand Loup et petit loup
La Petite Feuille qui ne tombait pas
Une si belle orange

Les trois épisodes qui mettent en scène les personnages de Grand Loup et petit loup, publiés chez le Père Castor en albums et illustrés par Olivier Tallec, sont ici racontés simplement, de manière à mettre à portée d’un jeune enfant le sens du texte et ses émotions, mais sans trop appuyer. La musique n’est pas trop présente, et n’est pas non plus redondante, ; elle ponctue joliment les épisodes, leur donne un rythme, une tonalité chaude ou piquante.

Ce sont des histoires simples qui permettent de décrire des sentiments compliqués : l’inquiétude d’un grand qui voit arriver un petit dans son univers, l’attente et la patience, la peur de l’inconnu, le partage… De petits chefs-d’œuvre à portée des petits, et une écoute qui plaira aussi aux grands tant la musique est belle et simple.
Une si belle orange avait été chroniquée par lietje en version album du Père Castor.

Matuta

Matuta a six ans, et vit dans la steppe. Elle est hantée par le passé tragique de sa tribu, mais retrouve le goût de vivre grâce à une veille femme qui lui apprend qu’il faut partir, découvrir, aller vers l’autre et l’ailleurs, quelle que soit la difficulté du voyage. Une aventure initiatique pour les plus grands.