Le Chant de la baleine

Le Chant de la baleine
Sang-han Kim & Jung-in Choi – traduction Véronique Massenot
L’élan vert 2025

La fillette qui marchait avec des béquilles…

Par Michel Driol

Une fillette aux cheveux roses marche difficilement avec deux cannes orthopédiques, descendant le long escalier qui conduit, à travers les maisons du village, jusqu’à la mer, tout en s’adressant à un tu dont on découvre qu’il s’agit de la baleine peinte sur le mur. Grâce à elle, le chemin semble plus facile. En bas, assise sur un banc, elle regarde les autres enfants qui l’ignorent jouer au ballon, mais elle rêve que la baleine lui apprendra à nager, à chanter… C’est alors qu’arrive un garçon qui sans doute vient emménager dans le quartier, et qui l’accompagne jusqu’à la plage.

Peu de texte pour cet album qui fait la part belle aux illustrations pour raconter l’histoire, mais un texte dont la concision fait mouche. Un texte qui place d’emblée le lecteur dans la tête et dans l’imaginaire de la fillette, un texte court que la mise en page fragmente encore, comme pour dire la lenteur, les efforts à faire, le souffle court, et l’attente du but. Plus le texte est bref, plus les mots ont de la force pour dire, au travers des verbes en particulier, les souhaits de l’enfant : voyager, nager, plonger, sauter… tout ce qu’elle ne peut pas faire, tout cet apprentissage qu’elle attend d’une amie imaginaire. Il y a là quelque chose de poignant dans une grande simplicité syntaxique et lexicale. Reconnaissons là la valeur de la traduction signée Véronique Massenot dans le choix des mots et des rythmes.

Autant le texte se fait discret, autant les illustrations, réalisées à la gouache, en double page, imposent une vision, un univers qui fait alterner le réel dans sa brutalité et le rêve marin dans sa douceur. Réalisme de ce décor d’un village perché, avec ses maisons colorées, et surtout ses escaliers interminables. Violence silencieuse de cette image qui oppose la fillette, isolée, seule sur son banc, tête baissée, et les enfants qui jouent au ballon, sans se soucier d’elle. Cruauté de l’indifférence ainsi montrée. Pas besoin de texte. Mais c’est aussi les pages où se mêlent les flots bleus et les cheveux roses de la fillette, dans un univers onirique où tout devient possible, expression des rêves, des désirs de ne plus être différente, handicapée, mais semblable aux autres. Le séquençage des images est très cinématographique, faisant alterner plans d’ensemble (plongées, contre-plongées) et gros plans (sur le visage, sur les yeux, sur les pieds…). On suit ainsi au plus près la fillette dans ce chemin de croix descendant, semé d’embûches, cette fillette qu’accompagnent discrètement deux chats qu’on cherchera sur toutes les pages, comme ses seuls compagnons dans le monde réel…

La page finale laisse au lecteur la liberté de son interprétation. Après une séquence maritime, où le texte dit que l’amitié ça se partage à l’infini, la dernière image montre tous les enfants réunis face à un coucher de soleil. Deux groupes bien distincts. La fillette et son nouvel ami, page de droite, les enfants et leur ballon page de gauche. Certes ces derniers regardent vers les premiers, mais est-ce pour aller jouer ensemble ?

Un bel album qui évoque le handicap, l’indifférence, avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, qui conjugue avec beaucoup de poésie le rêve et la réalité, autour des figures bien contrastées d’une fillette touchante et d’une baleine majestueuse.

Katy Carr

Katy Carr
Susan Coolidge
Traduit (anglais, USA) par Jacques Martine, ill. Myrtille Vardelle
Novel, 2025

Une fille contre-modèle, modèle pour  filles ?

Par Anne-Marie Mercier

Le titre original de ce roman, publié en 1872, par Sarah Chauncey Woolsey (Coolidge est son nom de plume) est « What Katy did ». Sous ce titre, c’est une référence connue dans le monde anglophone : chansons de Pete Doherty pour les groupes des Libertines et Babyshambles, titre de deux épisodes de la série Lost, allusions dans un film de J. Jarmusch, etc. En somme, c’est un personnage extrêmement populaire, mais un roman inédit en France jusqu’à cette édition. On peut encore une fois remercier les éditions Novel de nous faire découvrir et savourer de belles œuvres qui ont marqué l’histoire de la littérature pour la jeunesse, après celles de Lucy Maud Montgomery (Anne de Green Gables, Canada) et d’Edith Nesbit (Angleterre).
La raison en est à chercher sans doute dans le caractère hybride du personnage principal: au début du roman, Katy est une fillette de douze ans pleine d’énergie et prête à toutes les bêtises, bravant en compagnie de ses cinq frères et sœurs l’autorité de leur pauvre tante Izzie qui s’occupe d’eux depuis la mort de leur mère. Incapable de rester en place, toujours ébouriffée, ruinant ses vêtements, elle est un parfait diablotin. Elle a aussi des ambitions littéraires, elle écrit des histoires, et y embarque les autres enfants. Cette première partie est une succession de chapitres faisant alterner moments parfaits (invention de jeux, pique-nique, cabanes…) et catastrophes qui mettent en émoi la famille, le voisinage, l’école… Katie a de drôles d’idées et sait entrainer les autres dans ses délires.
Elle nourrit aussi de grands espoirs pour sa vie d’adulte, et rêve d’accomplir de grandes choses. Elle rêve aussi d’être un jour aussi parfaite que sa cousine Helen, une jeune fille belle, élégante, douce, joyeuse, qui a perdu l’usage de ses jambes à la suite d’un accident. Or, un autre accident, causé par une désobéissance et une imprudence, coupe les ailes de Katy : elle reste paralysée des membres inférieurs et doit garder le lit, avant de pouvoir utiliser bien plus tard une chaise roulante. Pendant quatre années, sa patience est mise à l’épreuve et elle prend alors modèle sur sa cousine et elle arrive peu à peu à suivre ses conseils pour pouvoir agir quand même, aider ses frères et sœurs et espérer faire quelque chose de sa vie.
Les bêtises de la première Katie sont spectaculaires et dangereuses, jusqu’à l’accident qui en clôt la série. Celles de la Sophie de la comtesse de Ségur (certes plus jeune) sont minuscules à côté. Katy offre ainsi un pendant féminin à la longue série de garnements romanesques initiée auparavant par Les Aventures de Jean-Paul Choppart de Louis Desnoyers. La suite, édifiante, est bien sûr moins distrayante, mais elle offre un ancrage sérieux et montre différentes façons de réagir à une pareille épreuve : révolte, dépression, premiers essais pour s’adapter, échecs, puis, pas à pas, installation dans une vie limitée qui est une vie malgré tout et reprise de projets d’avenir, avant même le happy end de la guérison.
C’est un personnage très attachant que cette Katy, de même que toute sa fratrie, pleine de fantaisie et d’énergie (le « journal intime du gourmand de la bande, Dorry, 6 ans, est charmant, et les poèmes et les spectacles créés par Katy et sa fratrie ou ses amies sont… un poème). Les personnages secondaires comme celui du père, médecin, attendri par l’inventivité de ses rejetons mais sachant rappeler les grands principes, de la tante Izzie, débordée et un peu ridicule parfois mais dont la mort offre de belles pages, des voisines, des amies… donnent aux courts chapitres, bien rythmés, de la variété et beaucoup d’humanité.
Bien sûr, tout cela est daté mais voir un personnage féminin traité de la sorte en littérature de jeunesse est réjouissant. La vie de son auteure, femme éduquée et indépendante explique sans doute ceci. Le succès de ce roman montre que les jeunes américaines ont bénéficié très tôt d’exemples de fillettes puissantes, avec les modèles comme Katy ou Jo March (Les Quatre filles du Dr March), dans des romans où ce sont les mères et non les pères qui sont absents.

 

 

https://shs.cairn.info/revue-de-litterature-comparee-2002-4-page-431?lang=fr

La Danse sauvage d’Harmonie Stark

La Danse sauvage d’Harmonie Stark
Sigrid Baffert et Jean-Michel Payet
L’école des loisirs (médium +), 2024

Duo dans l’Ouest sauvage

Par Anne-Marie Mercier

On connaissait Jean-Michel Payet comme un excellent auteur de romans de cape et d’épée (Mademoiselle Scaramouche, Éditions des Grandes personnes, 2010), de romans policiers, imités des romans-feuilletons des XIXe et début XXe siècles (Balto, l’École des Loisirs, 2020-2022), de science-fiction (Ærkaos, Panama, 2017 ; Éditions des Grandes personnes, 2011). Le voilà qui s’attaque au genre du western, celui-ci mâtiné de thriller ; on ne sait si l’idée vient de lui ou de sa coéquipière d’écriture (autrice de la trilogie Krol le fou entre autres) ni quelle a été la part de chacun dans le scénario et l’écriture, le roman étant parfaitement cohérent. Est-ce Sigrid Baffert qui a pris en charge les chapitres consacrés à Harmonie, souvent baignés de musique, mais sanglants, et Jean-Michel Payet qui s’est attaché au trio d’enfants et à leur errance, ou l’inverse?
Ce roman est excellent, captivant, mystérieux et plein des ambiances qu’on aime trouver dans ce genre. Le début, un medias res, nous plonge dans une scène bien connue, celle d’une ferme isolée attaquée et enflammée alors que des enfants dorment à l’intérieur. Le père, Fillmore, est abattu tandis qu’il cherche à les défendre ; les enfants survivants fuient d’abord en panique, puis partent sur les traces de l’assassin avec un désir de vengeance. Par la suite, on tombera sur un sheriff alcoolique, un shaman indien silencieux, des chercheurs d’or, une ville fantôme, un saloon avec des filles (danseuses, chanteuses, ou plus), une « veuve qui se déplace avec le cercueil de son mari mort depuis des lustres), une caravane de chariots de pionniers, un grizzli…
Les enfants (Petit, un garçon de huit ans, Grand, un adolescent, et une fille du même âge nommée Calamité) ont chacun leur personnalité. Ils s’opposent parfois mais ont tous le même but et un courage égal. Ils ont aussi des rapports différents à leurs origines (tous ont été recueillis par Fillmore) et tous des souvenirs différents de leur bienfaiteur, des habitudes, des tics de langage, des bribes de son grand savoir et de sa sagesse. Le personnage du méchant (ou plutôt de la méchante), est intéressant : on suit son itinéraire, ses souffrances, ses crimes. Chapitre après chapitre, les fils des différentes intrigues se croisent et se rejoignent et l’on finit par découvrir l’explication de tous les mystères… comme dans les romans populaires d’autrefois. La chanson qu’Harmonie la bien nommée chante merveilleusement parcourt tout le roman, lui donnant une allure musicale, pour s’achever dans un opéra entre océan et désert, en une scène grandiose. Le style, tantôt poétique et tantôt nerveux et sec, épouse parfaitement les méandres de ces aventures cheminantes à la suite du cheval (car bien sûr il y en a un), Captain Wynn.

 

 

Balto, t. II : Les Gardiens de nulle part

The Westing Game

The Westing Game
Ellen Raskin
Monsieur Toussaint Louverture, 2025

Le jeu des sentiers qui bifurquent

Par Anne-Marie Mercier

The Westing Game est un roman policer, du moins c’est ce qu’il semble être. À l’image des feux d’artifice qui explosent à des moments imprévisibles et dans des lieux improbables (une cabine d’ascenseur par exemple) avant de finir en bouquet final, les surprises surgissent à tous les chapitres, éblouissantes par leur ingéniosité mais aussi aveuglantes, tant la découverte de la vérité échappe à tous, ou presque, et surtout à un lecteur qui ne serait pas assez attentif aux multiples indices qui lui sont proposés.
Tout commence très vite avec le coucher du soleil sur l’immeuble nommé « les Tours du soleil couchant », bizarrement orienté vers l’Est ­— chaque détail dès la première page, est important. Dès cette première page on découvre un garçon de courses âgé de soixante-deux ans (pas normal, ça non plus !) qui distribue à six personnes le courrier d’un agent immobilier, Barney Nordrup, dont on nous dit qu’il « n’existe pas ». Ces courriers ont pour but d’attirer dans le nouvel immeuble, propriété de la société Westing, ces six personnes avec leur famille. Le jour suivant les noms des occupants sont installés sur les boites aux lettres et le lecteur a sous les yeux une liste avec les noms des occupants face à la localisation de leur appartement. Indice significatif ? on ne sait… Cette liste suit une disposition classique : un café est au rez-de chaussée, un restaurant (chinois) au dernier étage, un médecin occupe tout le premier et les autres étages comportent deux appartements. « Une couturière, une secrétaire, un inventeur, un docteur, une juge. Ah oui, et dans le lot on avait aussi un bookmaker, un cambrioleur, un poseur de bombes, et une erreur. Barney Nordrup avait loué l’un des appartements à la mauvaise personne ». Ajoutons une femme de ménage hagarde, un jeune garçon en fauteuil roulant, un autre qui prépare une course à pied, une jeune épouse chinoise effrayée, une jolie fille fiancée à un interne prétentieux, une ado rebelle mal aimée par sa mère…
Un mois plus tard, on arrive à Halloween et on se rapproche du fantastique : les nouveaux résidents découvrent qu’il y a de la fumée qui monte de l’une des cheminées du manoir abandonné de Samuel Westing dans lequel une rumeur prétend que le corps du milliardaire se trouve encore, pourrissant sur un « beau tapis d’Orient ». Une tentative précédente d’intrusion a provoqué la mort de l’un des  imprudents et la folie d’un autre… Les plus jeunes locataires mettent au défi la jeune et rebelle Turtle (tortue) d’oser entrer dans le manoir. Elle y découvre le corps du milliardaire et s’enfuit.
Nouveau rebondissement : le journal annonce la mort du milliardaire et un courrier arrive dans les boites des locataires pour les convoquer dans la bibliothèque du manoir afin d’entendre la lecture du testament de Sam Westing dont ils sont les héritiers. Ce testament est une lettre dans laquelle il qui affirme que c‘est l’un d’entre eux qui l’a tué. Il promet la totalité de sa fortune à celui qui découvrira le nom de son assassin. Il organise cela comme un jeu : les locataires sont groupés par deux et chaque groupe dispose de quelques indices, différents de ceux des autres groupes.
C’est ingénieux, drôle. Les personnages passent d’une présentation caricaturale à davantage d’humanité, les rivalités se transforment et laissent parfois la place à des rapprochements, des moments festifs. C’est aussi une belle lecture qui peut plaire à tous les âges. Que le meilleur gagne !

 

Sweet Home

Sweet Home
Nancy Guilbert

Didier Jeunesse, 2024

 Road trip en quête de vérité

Par Pauline Barge

Le Dusty Rusteze traverse les paysages d’Irlande avec à son bord Kim et ses deux enfants : Yzac, un petit garçon lumineux et Birdie, une adolescente mélancolique passionnée de musique. Lors d’une nuit pluvieuse, le van tombe en panne et la famille trouve refuge chez Siam et son grand-père. Birdie ignore alors que cette rencontre inattendue bouleversera sa vie.
Le récit alterne les points de vue, permettant de suivre l’histoire sous un angle toujours différent. Dans le présent, il y a Birdie, qui se rebelle, mais porte en elle une blessure profonde. Puis Siam, qui cherche à s’affirmer malgré son handicap. Yzac, lui, apporte un côté comique et une légèreté naïve au récit. Un personnage du passé apparaît également : Skye, une jeune femme qui cherche à fuir sa vie douloureuse, enfermée contre son gré dans un couvent. On se demande alors ce qui rassemble tous ces personnages, quelle histoire commune relie passé et présent. Il y a tant de secrets enfouis dans chacune de leurs vies. Une chose les réunit pourtant avec certitude : ils rêvent tous de leur propre « sweet home« .
Nancy Guilbert livre un récit à la fois plein de tendresse et d’humour, où amitiés naissantes et gestes d’amour captivent. Ce roman tient en haleine tout au long des pages, par ces millions de questions sur ces non-dits et les confrontations inévitables entre les personnages. L’histoire de Birdie et des autres est si pleine de rebondissements qu’il est impossible de lâcher le livre. Divers sujets délicats sont également abordés, tels que le handicap, les violences conjugales ou les atrocités des couvents de la Madeleine, qu’il aurait peut-être fallu explorer davantage en profondeur. Il y a aussi beaucoup de poésie de ce roman, que l’autrice transmet à travers les mots de Siam. Ils trouvent un écho dans toute cette beauté sauvage de la côte Irlandaise, permettant des moments de douceur dans ces mystères familiaux

Henri l’escargot

Henri l’escargot
Katarina Macurová
Albatros 2023

Etre ou ne pas être comme les autres

Par Michel Driol

Il est né sans bave, Henri, le petit escargot, et, de ce fait, il ne peut pas grimper sur les plantes comme les autres. Il tente de pallier son handicap, à l’aide de ses antennes, de miel, de résine… Peine perdue ! Mais, en s’entrainant à porter de lourdes charges en équilibre pour se muscler, il parvient à faire l’acrobate sur les tiges. Et lorsqu’un beau jour une limace qui voulait une coquille comme la sienne l’emmène au sommet d’une fleur, c’est la découverte d’un nouveau monde : les autres apportent leur aide à Henri pour grimper, et en échange, il leur ouvre le monde du cirque et de l’acrobatie.

L’escargot est un des animaux récurrents en littérature pour la jeunesse. Lent, petit, fragile, il permet assez facilement que les enfants s’identifient à lui. Henri ne fait pas exception, lui qui est dessiné très peu anthropomorphisé (avec une bouche et des antennes expressives, et des yeux grand ouverts sur le monde). Mais surtout avec ses qualités : sa détermination, sa volonté sans faille, son désir de faire comme les autres, de vaincre le handicap avec lequel il est né. Il donne une belle leçon d’humanité ! La dynamique du récit fait passer, de façon intéressante et pertinente, d’une problématique individuelle à une problématique sociale. Seul, Henri ne peut réaliser ses rêves. Il a besoin des autres, mais, en échange, il a quelque chose à leur apporter. C’est cette solidarité, qui les conduit tous à ses dépasser dans une dimension joyeuse, ludique, artistique, circassienne, que l’album met en évidence avec beaucoup de douceur et de délicatesse. L’acceptation de la différence ouvra ainsi de nouveaux horizons.

Le texte, avec sobriété, épouse le point de vue d’Henri, lui donne la parole, et commente ses actions sans devenir envahissant, histoire de donner la part belle à de splendides illustrations qui rythment le récit. Tantôt en double page (avec des vues d’un grand réalisme poétique sur le jardin, la nature luxuriante), tantôt en strips animés montrant les efforts d’Henri, elles savent aussi faire un écho à la fantaisie du texte lorsque l’on voit les escargots devenus personnages de cirque (clowns, acrobates, équilibristes…). Et que dire de la dernière illustration où un pot de fleurs renversé, ébréché, devient un chapiteau de cirque vers lequel convergent tous les insectes ! C’est plein de couleurs et de vie…

Une douce histoire pour aborder des thèmes sérieux comme celui du handicap, de l’entraide, avec une grande simplicité et comme une espèce d’évidence dans la façon d’accepter la différence de la part des différents personnages… Un album pour développer naturellement des compétences sociales de ses lectrices et de ses lecteurs.

Le Garçon qui voulait être un chat

Le Garçon qui voulait être un chat
Véronique Foz
Tom Pousse 2023

Vivre avec Asperger

Par Michel Driol

Ilyan adore côtoyer les chats, qu’il observe à tout moment. Ce n’est pas pour rien si le premier mot qu’il prononce est chat. Il se croit chat dans un corps de garçon. Il parle peu, se met souvent en colère, ne s’intègre pas en classe. C’est alors qu’on lui diagnostique un syndrome d’Asperger. Avec l’aide de sa grande sœur, de son grand père, de sa mère ; de son AESH,  Ilyan parvient en cinquième. Lorsque c’est la maladie d’Alzheimer qui attend le grand-père qu’il adore, c’est un terrible drame qu’Ilyan doit affronter.

Véronique Foz parvient à surmonter une double difficulté : écrire dans la collection AdoDys (donc pour des enfants souffrant de dyslexie) un texte sur un enfant souffrant d’autisme. Disons tout de suite que le pari est réussi. D’abord par l’usage de la langue, des phrases courtes, souvent au présent, des phrases percutantes qui savent aller à l’essentiel des faits, des sentiments ou des émotions, des phrases qui savent dire aussi bien la vision du monde et des autres ressentie par  Ilyan que le mal-être de sa famille à aider cet enfant différent à grandir, à trouver sa place de petit humain et non de petit chat. Des phrases qui savent dire ce qu’il faut de patience et d’amour d’abord pour accepter le diagnostic, ensuite pour accompagner sans brusquer. Des phases qui savent osciller entre plusieurs pôles, d’une part  expliquer l’autisme, ses symptômes, la spécificité d’Asperger avec des mots compréhensibles par tous, d’autre part  faire éprouver au lecteur ce que ressent Ilyan, sa façon de voir le monde et les autres, ses difficultés à communiquer et à percevoir les implicites et les sous-entendus. Mais c’est peut-être dans un troisième registre que ce texte excelle, c’est dans la façon de faire naitre chez le lecteur l’empathie pour Ilyan et une forte émotion, en particulier vers la fin du texte. Cela tient à l’histoire racontée, à l’inventivité dont Ilyan va faire  preuve pour permettre à son grand père de retrouver les souvenirs qu’il a perdus, mais aussi à la  façon de mettre en mots la perception poétique de la vie et de la mort ressentie par Ilyan.

Autour d’Ilyan gravite toute une galaxie de personnages secondaires, qui incarnent différentes réactions face à l’autisme : le père qui préfère fuir et divorcer, le grand père, figure bienveillante et pleine de compréhension, la mère patiente, la sœur, entre amour pour son frère et sentiment d’être délaissée, les « copains » trop souvent moqueurs et d’une dureté insupportable, et Sol, la lumineuse, qui saura aller vers Ilyan.

On ne saurait trop que conseiller à toutes et tous de lire cet ouvrage, d’abord parce qu’il est une tentative réussie de faire éprouver les difficultés  d’un enfant atteint d’autisme et de son entourage, ensuite parce que le récit de cette chronique familiale sait faire la part belle au réel, à l’intime et à l’émotion.

Awa, l’écho du désert

Awa, l’écho du désert
Céline Verdier, Nicolas Lacombe
Cipango, 2023

La petite fille, le vent et la voix

Par Anne-Marie Mercier

Née muette dans une tribu africaine nomade, Awa est exclue du groupe : les muets porteraient malheur. Un vieil homme qui vit à l’écart s’occupe d’elle et lui raconte les légendes de leur peuple, notamment celle d’un cheval fantôme, hanté par la vengeance, dont le passage apporte la tempête. Lorsque la tempête s’approche du village, Awa tente de donner l’alarme avec la seule voix qu’elle possède, celle de son tambour. En vain.
Mais elle affronte le cheval et parvient à l’arrêter en imitant sur son tambour, comme elle l’a appris du vieil homme, les bruits de la nature. Ce langage premier qu’ils partagent les unit. Awa partira sur le dos du cheval et entrera dans l’oralité de la légende.
Cette belle histoire, qui traite d’exclusion, de tendresse partagée, de sensibilité aux sons et d’apprentissage, est traversée de bout en bout par le vent. Les illustrations évoquent le sable du désert avec des teintes gris-beige piquetées de quelques points de couleurs, noires ou bien ocres et une technique qui évoque celle du tampon (en fait c’est réalisé avec du ruban adhésif, étonnant !). Par la suite, les couleurs explosent, superbes, avec l’arrivée du cheval, blanc sur fond rouge, puis rouge sur fond blanc, puis le jaune et le bleu du tambour et le retour au calme avec le fond clair sablé, sur lequel se détachent les silhouettes, bleue pour l’une, rouge pour l’autre. On a l’impression d’être devant des images très anciennes, usées par le temps, ou par le vent, comme ce conte intemporel.
Le destin d’Awa, enfant rejetée qui sauve sa communauté malgré sa différence, ou plutôt grâce à elle, rejoint celui de nombreux héros de contes, anciens et modernes, frappés d’exclusion qui sauvent pourtant leur groupe (Yakouba, Flix…). Mais contrairement aux autres personnages, Awa s’en va.
C’est un album riche, beau et émouvant qui traite du handicap de manière intéressante et complexe : Awa est une belle figure sacrificielle qui rejoint de nombreux mythes, mais elle ne meurt pas : elle passe « de l’autre côté », du côté des légendes. Le fait qu’il s’agisse d’une société lointaine et d’un conte invite au pas de côté, à une lecture mythique, à un regard poétique.

 

 

 

Ma musique de nuit / La danse des signes et Uni vert / Remous

Uni vert / Remous
Stéphanie Richard, David Allart

Ma musique de nuit / La danse des signes
Marie Colot, Pauline Morel
Éditions du Pourquoi pas, 2020

Par Anne-Marie Mercier

Dans cette collection, « faire société », deux récits sont réunis, tête bêche, dans un même volume et se répondent. Dans Uni vert et Remous, on imagine un monde changé : il devient vert, totalement vert et les couleurs autres ont disparu, en dehors de la mémoire et de l’imagination des hommes : que va-t-il advenir ? Ou bien il devient mou et seuls certains arbres restent solides : c’est là qu’on doit se réfugier.

Dans Ma musique de nuit et La danse des signes ce n’est pas le monde qui est changé, mais la perception du personnage : l’une est aveugle, et veut jouer de la musique ; une autre est sourde et voudrait danser en rythme avec son ami : comment faire ? Tout est possible, avec la passion et l’amitié. C’est un beau message et un ebelle ouverture.

Les quatre récits s’achèvent avec une page de questions, questions au lecteur, sur son interprétation du texte, question à l’humain, sur ce que cela lui dit de la vie, question au citoyen sur un engagement possible, le sien ou celui des autres, qui serait peut-être déjà là : Pourquoi pas ?

Où se cache ma fille ?

Où se cache ma fille ?
Iwona Chmielewska
traduit (polonais) par Lydia Waleryszak
Éditions Format, 2020

Broderies et handicap

 Par Anne-Marie Mercier

On cherche une petite fille dans toute la maison : chaque page présente un coussin, un meuble, une porte, un placard, un rideau, et toutes sortes de lieux enfin où elle pourrait se dissimuler. Ce n’est qu’à la fin qu’on la voit, cachée derrière une porte vitrée à mi-hauteur. La dernière page montre qu’elle est assise sur un fauteuil roulant.
Cet album propose une autre manière de voir le handicap : une enfant handicapée est d’abord une enfant. Le texte, à chaque double page, la décrit : parfois gaie, parfois triste, calme, ou vive, etc. en accompagnant ces adjectifs de comparaisons animales toutes charmantes et parlantes, parfois originales (triste comme un phoque, aussi maladroite d’un hippopotame), parfois non (forte comme un éléphant, lente comme une tortue).

Ces animaux sont représentés émergeant des lieux où l’on cherche l’enfant et la grande originalité de l’album consiste dans la nature des images : ce sont des photos de pièces de tissus cousues et brodées qui figurent l’ameublement de la maison. Les animaux évoqués par les comparaisons eux aussi sont de cette sorte, mais on les voit sur l’envers sur une page, et sur l’endroit à son envers, représentant alors un tout autre animal : la réversibilité du caractère de l’enfant est ici figurée par ces métamorphoses.

C’est beau, subtil, plein d’humanité. Toutes ces étoffes de récupération portent en elles de multiples présences. La broderie et la couture nous parlent d’un réel abimé à reconstruire. Le handicap de l’enfant n’en est qu’un des aspects, même si le regard porté par l’album sur ce point est essentiel. Voir la vidéo

sur l’auteur (site de l’éditeur):

« L’organza blanc et les chiffons qui ont servi à confectionner ce livre proviennent de diverses friperies polonaises important des vêtements d’Europe de l’Ouest. L’organza était sans doute le rideau d’une fenêtre. Les morceaux de caleçons, de taies d’oreiller, de rideaux, de mouchoirs, de pyjamas, de jupes longues ou de robes de fillettes, utilisés naguère quelque part par quelqu’un, ont été assemblés dans ce livre en un tout. J’ai la conviction que tous ces petits bouts de tissus renferment, d’une certaine manière, le vécu et l’énergie des personnes qui les ont portés autrefois. » (Iwona Chmielewska)
Iwona Chmielewska est une grande illustratrice polonaise, dont les images, tout en douceur, vont bien au-delà d’une simple interprétation du texte. Elle a remporté de nombreux prix, dont le Bologna Ragazzi Award en 2011, en 2013 et en 2020 (Prix Nouveaux Horizons), ainsi que La Pomme d’or de la Biennale de l’Illustration de Bratislava en 2007.
Ses livres sont publiés en Corée du Sud, en Pologne, en France, en Chine, au Japon, à Taïwan, en Italie, en Allemagne, au Portugal, au Mexique et au Brésil. Elle est connue en France pour ses albums : Les yeux, La Mésaventure, Dans ma poche chez Format.