Theferless

Theferless
Anne Herbauts
Casterman, 2012

Pure beauté

Par Christine Moulin

theferless« Bonne journée qui commença mélancoliquement
Noire sous les arbres verts
Mais qui soudain trempée d’aurore
M’entra dans le cœur par surprise ».

Ces quelques vers issus du poème « A Pablo Picasso » (Les yeux fertiles), de Paul Eluard, pourraient en quelque sorte dessiner le parcours proposé par le splendide album d’Anne Herbauts. Tout commence dans la sombre forêt des contes, dans une maison « étroite et carrée », à la fenêtre faite de « peau de chagrin », installée dans le ventre d’un 8, qui finira par libérer l’infini qui est en lui.

Les personnages, sans nom, représentent plus qu’eux-mêmes : la Très Vieille, le Père, l’Enfant, la Mère-Giron, la Mort, le chat Moby Dick. Ne nous y trompons pas : ce n’est pas une histoire qui nous est racontée là. C’est l’histoire au cœur de toutes les histoires, c’est l’origine de tous et de chacun. C’est à l’échelle du mythe qu’il nous faut nous hausser, comme nous l’indiquent les nombreuses litanies, les merveilleuses listes qui scandent le récit. La première page ressemble à un prologue. Tout est en place, chacun tient son rôle, celui qui lui a été assigné de toute éternité: « La Mère tricote et brode. La Vieille s’en va lentement. La Mort rigole et joue aux dominos ».

Ce qui met en branle le cours du Temps, c’est une hirondelle, non pas celle qui fait le printemps mais au contraire, celle que le chat a attrapée, un jour d’automne, celle qui repartira, une fois soignée, car elle doit « retrouver le bleu » et tracer « l’espace, les saisons, le temps, le lointain, l’ailleurs » . Et l’on comprend alors pourquoi il est si important d’avoir, une fois dans sa vie, tenté, avec sa mère, de sauver un oiseau.

Toutes les phrases du texte sont ciselées et en même temps, si simples. De la simplicité des grandes évidences (« La chaise vide remplissait par son attente la moitié de la pièce », « La Mort racontait comment le jour était, de tout son long, un beau jeune homme », « Ils ont un ciel entier à travers la gorge, le cœur »,…) Chaque illustration est à sa manière un tableau, sans pour autant perdre de sa force narrative et symbolique, dans le chemin qui mène de l’ombre à la lumière. Un absolu chef d’œuvre qui éclaire la vie et donnerait presque un sens à la mort.

Mamouchka et le coussin aux nuages

Mamouchka et le coussin aux nuages
Michel Piquemal, Nathalie Novi

Gallimard, 2012

Lever les voiles (mourir)

Par Dominique Perrin

mamou Une très vieille dame habite le monde à tout petits pas, vivant frugalement une vie dont le fil s’amenuise. Un coussin brodé de nuages, généreusement acheté à un brocanteur rétrospectivement mystérieux, vient soulager ses maux. Délassant son corps, il procure à « Mamouchka » la magie de la réversibilité du temps : la voici dans la fleur aimante de son âge, au temps de la rencontre amoureuse, du mariage, de l’enfantement, en un voyage immobile et comblant.
Ce récit très sobre, à l’image de son titre, s’accomplit dans les images dansantes et chatoyantes de Natahalie Novi. Que texte et image campent une Russie des plus traditionnelles n’ôte rien à la juste beauté de ce conte de la mort comme évanescence et avènement – à contrepied, posément, des représentations dramatiques de l’ultime vieillesse caractéristiques de l’inconscient collectif occidental.

Quand la mort est venue

Quand la mort est venue
Jürg Schubiger
Illustré par Rotraut Susanne Berner
Traduit de l’Allemand par Marion Graf
La Joie de Lire, 2011

La joie de lire  ?

Par Christine Moulin

qd_la_mort_web_carre_200Tout commence au mieux: nous voilà revenus dans une sorte de Paradis perdu, d’avant la malédiction universelle: « En ce temps-là, nous ne connaissions même pas son nom. La mort? Connais pas. » Sauf que l’illustration montre deux enfants au regard fixe, au sourire figé, qui ne semblent pas particulièrement heureux de vivre. L’impression que « quelque chose cloche » ne se dément pas quand on tourne la page: nous voici devant le village entier. Tout le monde a les mêmes yeux écarquillés, un peu vides, une position statique, l’air indifférent. On apprend que « chez ces gens-là », on ne se souhaite pas « bonne journée » parce que c’est inutile: toutes les journées sont bonnes.

Apparaît la Mort qui rappelle celle d’Erlbrüch dans Le canard, la mort et la tulipe ou dans La grande questionElle est représentée sous la forme d’une mendiante épuisée, dont tout le monde se moque parce qu’elle trébuche sur un escargot. Voilà donc le péché originel : la méchanceté stupide à l’encontre de l’étranger.

Ce qui devait arriver se produit: la Mort passe la nuit au village et y sème le malheur. Malgré elle, car elle est pleine de culpabilité et de compassion. Cette compassion que les villageois, perdus dans leur bien-être un peu niais, lui avaient refusée. La Mort repart, les villageois reconstruisent leur village dévasté : ils ont appris à souhaiter bon voyage, bonne journée, bref, à ne pas prendre pour bonheur comptant ce qui leur a été octroyé. On les voit rassemblés, un vrai sourire aux lèvres. Tout semble paradoxalement plus vivant, plus joyeux.

La fable est riche mais dérangeante. A dessein, bien sûr. Reste une interrogation: ces villageois sont-ils destinés à mourir, alors que la Mort est repartie?

L’avis d’une lectrice, Marine Landrot : « Ce qui est beau, dans cet album, c’est que cette mamie-squelette n’a pas plus de réponse que les hommes sur les mystères de l’au-delà. »

 

Le Dernier Jour de ma vie

Le Dernier Jour de ma vie
Lauren Oliver
Traduit (anglais, USA) par Alice Delarbre
Hachette (Black moon), 2011

Antidote à l’idiotie, ou : la chick-lit comme outil philosophique

Par Anne-Marie Mercier

Conseil à ceux qui ont à la maison (ou pas loin) une adolescente insupportable, narcissique et grégaire : vite, offrez lui ce livre. D’abord, elle l’aimera, puis il la fera (horreur !) réfléchir.

Dans un premier temps, avouons-le, ce livre tombe des mains tant il donne l’impression d’être complice de la lectrice visée. On a l’impression de lire un volume de la série des L. B. D. (« Les Bambinas Dangereuses » de Grace Dent, gros succès commercial – voir ma non-chronique du t. 2 ), centré sur les choses capitales comme : sortir avec le garçon le plus canon du lycée, décider avec ses copines de ce qu’on va porter pour la fête, être celle qui aura le plus de roses le jour de la saint Valentin, voir la tête de celle(s) qui n’aura pas de rose ce jour là, faire une mauvaise blague à celle(s) qu’on n’aime pas (en général, des moins riches, moins belles, etc. que soi)… la liste serait longue. L’héroïne fait partie d’un groupe de copines « populaires », de celles qui font la pluie et le beau temps dans le lycée Jefferson, célèbre pour son taux de suicide et de consommation d’alcool (des points qui seront confirmés par cette histoire).

On s’accroche, parce qu’on sait que ce roman au titre anglais polysémique et évocateur (Before I fall) a eu un succès mondial (nominé par RT Book Reviews en 2010 dans la catégorie « Best Young Adult Paranormal/Fantasy Novel » et que Lauren Oliver est l’auteur de Delirium que Sophie Genin a beaucoup aimé, écrivant que « Ce roman devrait être mis entre toutes les mains adolescentes ».

Mais, après ce premier chapitre consternant (et d’une écriture aussi pauvre que les pensées de la niaise héroïne), les choses s’arrangent. D’abord, elle meurt, ouf ! Mais pas pour renaître en ange (pitié, non !). Les chapitres suivants commencent tous au même matin du 14 février avec une héroïne qui est la seule à se souvenir des expériences et découvertes du jour « précédent » (on pense au beau film « Un jour sans fin »). Six chapitres se succèdent sur le même modèle, six étapes dans la découverte de la vacuité de sa vie et de sa responsabilité dans les drames de cette journée. L’incrédulité et la panique font place progressivement à l’analyse et à l’éclosion d’un sens moral – jusqu’ici enfoui sous des comportements grégaires et des postures.

Ce sont aussi six tentatives pour infléchir  le cours de cette journée et se racheter.  Que l’entreprise soit difficile et presque désespérée est une des belles idées de ce roman philosophique : le hasard et la fatalité, la vie et la mort, mais aussi l’amitié et l’amour, la famille et le groupe (l’ « embrigadement » évoqué dans Delirium est ici vu à l’échelle d’une génération), sont évoqués à travers une intrigue et des interrogations intéressantes ; il est cependant un peu dommage que tout ramène à la nostalgie de l’enfance perdue (forcément pure) et au retour aux valeurs familiales (seules bases solides).

Sur cette écriture en contraste :

J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de romans pour adolescent(e)s composés de la même façon : un premier chapitre accrocheur, niais et mal écrit, puis progressivement une amélioration (voir Promise de Allie Condie ). Serait-ce un procédé conscient de captation du lectorat? ou bien une imitation du roman de Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon, dans lequel le niveau d’écriture et de réflexion varie avec celui du narrateur ?

Waterloo Necropolis

Waterloo Necropolis
Mary Hooper
traduit (anglais) par Fanny Ladd et Patricia Duez
(Les grandes personnes), 2011

Dickens au féminin

 Par Anne-Marie Mercier

Ceux qui aiment Dickens et qui auraient aimé qu’il écrive un Oliver Twist au féminin, ceux qui aiment les héroïnes opiniâtres, ceux qui aiment les récits où l’on frémit et où l’on apprend aussi quelque chose, ceux qui aiment les histoires de cimetières et d’entreprises de pompes funèbres, ceux qui aiment les livres dans lesquels la condition des femmes est observée sans tabous, ceux qui aiment les histoires qui finissent bien, ceux qui aiment les retournements de situation inattendus, ceux qui aiment la bonne littérature populaire… enfin, toutes ces personnes devraient aimer Waterloo Necropolis.

Deux mots de l’histoire ? Lili et Grace sont orphelines de mère, leur père est parti en Amérique avant la naissance de Grace ; il y est mort sans doute. Lili est simple d’esprit. Au début du roman, elles survivent vaille que vaille depuis qu’elles se sont enfuies d’un orphelinat où elles ont été maltraitées, et pire encore. Grace rencontre au cimetière idyllique de Brockwood deux personnes qui vont changer sa vie : l’une est un jeune avocat qui l’aidera à venir à bout des manigances d’affreux individus haut placés, l’autre est un couple entrepreneur de pompes funèbre qui l’embauchera comme pleureuse. Les rites funéraires de cette Angleterre (qui dans le cours du roman prendra un deuil général avec la jeune reine Victoria devenue veuve prématurément) sont un beau moment d’anthropologie. Les aventures des deux sœurs sont dans la première partie une descente aux enfers, dans la deuxième une remontée progressive mais soumise à de nombreux hasards. Misère et luxe, solitude et union, secrets, trahisons… on y trouve tous les ingrédients des romans populaires.

Enfin, chaque chapitre est précédé d’une citation (plusieurs viennent du Dictionnaire de Londres de Dickens), ou petite annonce, publicité, article de journal… qui annonce la suite : on saute ainsi de case en case dans ce parcours qui ressemble à un puzzle dont le dessin n’apparaît qu’en toute fin, avec une surprise de taille.

Ce livre, paru sous le beau titre de Fallen Grace, a été nominé pour le Carnegie Book Prize et pour le prix sorcières 2012 (il ne l’a pas eu ; c’est L’Innocent de Palerme de Susana Gandolfi qui a gagné, lui aussi publié aux Grandes personnes, comme Un jour de Morris Gleitzman : avec 3 romans sur 5 nominés pour la catégorie « romans ados », cette maison d’édition est vraiment à suivre de près.

Mary Hooper a écrit La Messagère de l’au-delà et une trilogie dans l’Angleterre élisabéthaine (La Maison du magicien) ; son nouveau livre, Velvet (non encore traduit) se passe en 1900.

Jeanne cherche Jeanne

Jeanne cherche Jeanne
Martine Delerm

Gallimard Jeunesse (Folio Junior),  2012

Qui suis-je? 

Par Maryse Vuillermet

  Jeanne, treize ans, a été retrouvée inanimée et amnésique après un accident de la route. Malgré la rééducation, elle ne retrouve aucun souvenir d’avant. Et personne ne la réclame. Elle vit donc dans un centre pour adolescents à problèmes près de Rouen. A travers son journal, elle nous fait partager son quotidien, au centre et au collège, ses amitiés, ses doutes, et puis sa recherche des siens.

Très joli roman, la quête identitaire est prenante, le personnage est très attachant. L’écriture de Martine Delerm est à la fois simple et poétique,  elle accompagne en douceur l’évolution de cette adolescente.

Je suis venu tout seul

Je suis venu tout seul
Nicole Dedonder

mØtus (mouchoir de poche), 2011

Deuil : mode d’emploi en petit carnet

par Anne-Marie Mercier

Rémy se rend régulièrement sur la tombe de son frère, souvent seul, parfois avec sa mère. Là, il lui parle, le questionne. Il lui raconte l’avancée de ses amours avec Louise, ce que deviennent les copains qui l’oublient, entrent en sixième, trouvent qu’un cimetière est un lieu infréquentable. Il rêve aussi, il joue, met des notes aux inscriptions qu’il lit sur les autres tombes, imagine la vie des autres, écrit ses pensées dans un petit carnet. Les années passent, mais pas le souvenir.

Imprimé en blanc sur noir comme tous les livres de cette collection « mouchoir de poche », ce n’est pas un livre funèbre et pourtant il dit beaucoup sur la mort d’un frère, avec les questions que les enfants  se posent, les vêtements qu’on essaie de leur faire porter, leur solitude face aux autres qui ne comprennent pas.

Odile n’existe plus

Odile n’existe plus
Frédéric Chevaux

Ecole des Loisirs (Neuf), 2011

Quand faire face à la mort est possible

par Sophie Genin

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Odile n’existe plus n’est pas un texte thérapeutique pour faire face à la mort quand on a dix ans, c’est un roman sur les histoires qui ne sont pas toujours fausses. Odile n’existe plus n’est pas un roman de plus sur la fin de l’enfance, c’est un livre qui donne la parole à une petite fille, Emilie, en créant une voix originale, comme une mise en abîme de l’acte d’écriture. C’est un texte touchant, émouvant, dans lequel vous croiserez la Belle au Bois dormant, le Petit Poucet, Hansel et Gretel, le Petit Chaperon Rouge et son loup et, surtout, le Prince Charmant d’Emilie : Rémi. Vous comprendrez pourquoi il n’y a que lui qui peut lui convenir à elle, courageuse, mais pas tout le temps, et qui aimerait que les contes de fées ne soient que des débuts et, surtout, vrais, même si elle sait bien, au fond, que c’est impossible !

Un jour je suis mort

Un jour je suis mort
Kyunghye Lee
Traduit du coréen par Catherine Baudry et Sohee Kim
L’école des loisirs (Médium), 2011

L’amour, est-ce que ça se mérite?….

Par Chantal Magne-Ville

un jour je suis mort.gif« Un jour je suis mort » : un titre accrocheur que cette phrase découverte par Youmi sur la page de garde du journal intime de son copain Jaijoun, mort deux mois auparavant dans un accident de moto. La maman de ce dernier n’a pas eu la force de lire le cahier bleu et le lui a confié. L’intérêt du roman tient surtout dans la découverte, au fil des semaines, des réactions de Youmi, une adolescente écorchée vive, pétrie de culture coréenne mais aux préoccupations finalement très semblables à celles des adolescentes européennes.

La lecture fragmentée du journal intime de Jaijoun fait naître de nombreuses réflexions sur le sens de la vie et des amours rêvées ou inatteignables. Le point de vue interne rend l’émotion poignante, tout en laissant transparaître la complexité d’une amitié amoureuse qui ne dit jamais son nom. A part quelques longueurs, la tension psychologique ne retombe jamais car Youmi découvre peu à peu qui était véritablement son ami et pourquoi il est mort. Le ton n’est cependant pas pathétique malgré la gravité du sujet qui évite toujours le larmoiement et sait toucher son public.

Premier chagrin

Premier chagrin
Eva Kavian

Mijade (zone J), 2001

leçon de mort, leçon de vie

par Anne-Marie Mercier

Eva Kavian  Mijade (zone J), grand-mère, accident,cancer, famille,mort,grandir,collègeAnne-Marie MercierLes concepteurs de la couverture ont choisi d’expliciter le titre, qui sans cela évoquerait les laborieuses « compositions françaises » comme celle sur le « premier chagrin » évoquée par Nathalie Sarraute dans Enfance. Sur cette couverture dont la couleur vive semble contredire le titre, l’image d’une annonce demandant une  « jeune fille pour baby-sitting » indique bien le début de l’intrigue. Le début seulement, car ce roman ne cesse de bifurquer et, de mystère en mystère, de nous surprendre.

Il y a trois ou quatre histoires entrelacées, et pourtant une seule. La jeune Sophie, 14 ans, vivant seule avec sa mère, bonne élève mais mécontente de sa vie en général et du collège en particulier, cherche à se faire un peu d’argent, à grandir. Elle est embauchée par une vieille dame, surnommée Mouche. Gravement malade, Mouche lui dit que ses petits-enfants vont venir pour être avec elle dans les derniers mois qui lui restent à vivre.

Les petits-enfants ne viennent pas. À leur place, des amis, nombreux, affectueux, touchants. Sophie aide Mouche à ranger sa maison, puis à préparer sa mort. Rien de morbide, tant Mouche à de goût pour la vie dans tous ses aspects. Sophie apprend avec elle la gaieté, l’insouciance, le pardon, la gravité. Elle découvre que la gaieté de Mouche masque une blessure terrible et explique pourquoi les petits-enfants ne viendront peut-être jamais.

Sophie grandit. Ses relations s’approfondissent, elle prend des initiatives, pose les questions qu’elle n’a jamais osé poser. D’adolescente morose, elle devient vivante et crée de la vie autour d’elle. Qu’on ne se méprenne pas : pas de miracle, mais la mort de Mouche est une belle leçon de vie et un moment presque heureux. Malgré une écriture assez plate, qui se présente comme la voix de Sophie racontant son histoire, c’est un beau livre, plein de petites trouvailles, de moments drôles, vrai, touchant et surprenant.